Je ne suis même pas sûre de savoir ce que signifie le mot élucubrations mais il n'empêche que je me suis réveillée avec ce mot sur la langue. Alors je crois que pour contrer le sort, il fallait que je le sorte quelque part.
C'est chose faite.

Ce matin je me suis levée à 7h pour conduire ma soeur au collège.

Je lui avais promis et je voulais le faire avant de ne plus pouvoir.

Dès qu'elle a franchi la grille bleue, je me suis mise à avoir froid et chaud en même temps.
Il était là, devant le lycée, avec Domi, en train de fumer.

Je me suis dit Merde, qu'est-ce que je fais ? S'il ne se retourne pas je rentre à la maison sans lui dire bonjour ? Nan, je vais le regretter... Oui mais ça va faire vraiment le pot de colle si je me plante devant lui...
Pendant que je réfléchissais, Domi a dû lui dire que j'étais là et il s'est retourné doucement, et s'est avancé vers moi en souriant, pendant que je traversais la rue.

C'était un délice de me retrouver avec lui, devant le lycée, sans être pressée ni stressée par un cours, dans le froid du matin.
Il s'était rasé.
Et il avait mis une chemise bleu pâle.
Il donne son premier cours de l'année aujourd'hui alors il fallait qu'il soit un minimum présentable.

Nous sommes restés là, une demi-heure.
Et puis Charlotte est arrivée.
Une fois qu'elle a été là, je n'ai plus eu l'occasion d'en placer une.

J'ai l'habitude que dès que je m'intéresse un peu à quelqu'un, moi la moche-intello-pas-intéressante-mais-que-bizarrement-les-gens-biens-comme-maman-apprécient (ce n'est pas comme ça que je me vois mais c'est comme ça que, celles qu'on appelle les louloutes, me voient) on se jette sur la personne.
Un peu comme si je lançais les modes.
Sauf que là, l'objet de mon désir à moi n'est pas un stylo ou un vêtement.
C'est un homme.
Que milliers de femmes sauront charmer beaucoup mieux que moi.

Alors Charlotte cligne des yeux, remet sa mèche derrière son oreille, éclate d'un grand rire cristallin et fait beaucoup d'humour.
Et il rit.
Et j'ai envie d'hurler.

Bon elle fait beaucoup de baratin pour pas grand chose.
Et puis je sens qu'elle essaye d'établir une complicité avec lui, complicité basée sur le fait qu'ils sont tous les deux encore au Sacré-Coeur.
Et plus moi.
Et qu'ils fument tous les deux.
Et pas moi.

Alors je me fais violence et je souris intérieurement. Je me repasse les sms qu'il m'a envoyé hier soir.

J'espère que tu vas mieux surtout.

Repose toi bien aussi (...) Bonne nuit. A bientot ma reine

Alors je me raisonne et me conseille vivement d'arrêter cette putain de jalousie à deux balles qui ne sait faire que du mal.
Je me dis qu'il y aura encore du chemin à faire avant qu'il n'appelle Charlotte Ma reine.

Puis Florent est arrivé, et lui est parti faire des photocopies.
Est revenu quelques minutes plus tard s'en fumer une petite dernière avant le cours des 1L.

Je suis restée à discuter avec Charlotte et Florent. Puis avec Charlotte et Fourmi.
Puis avec Charlotte, Florent et Nadège.
Puis de nouveau avec Charlotte et Florent.
Il est revenu et avant de re-rentrer dans le lycée, cette fois pour de bon, il s'est de nouveau approché de moi pour me demander un détail par rapport à une manipulation informatique.

Là Charlotte a fait celle qui le connaissait mieux que moi (n'importe quoi) et a dit, tout en ponctuant sa phrase de grands éclats de rire charmeurs, :
"Mais de toutes façons vous n'aimez pas les machines".
Alors j'ai répliqué :
"Nan, t'aimes pas les machines, mais t'aimes les Mac !"
Il a répondu que oui, c'était les seules machines qu'il aimait.

J'ai encore le parfum de Florent collé sur les joues.
Et sur ma peau j'ai le parfum de mon gel douche à la violette.
Que des bonnes odeurs. Délicates. Raffinées.
Mais je préférerais avoir les vêtements imprégnés de l'odeur de ses cigarettes.
Ou de sa peau.
Sa peau qui sent le biscuit chaud.

Je regarde les minutes passer, me demandant ce qu'il est en train de faire à ce moment.
L'imaginant fumer avec ses collègues à la récré.

À 14h je retrouve Marion.
Elle doit aller à la fac pour s'inscrire à la SMENO ou un truc du genre.
Ma soeur rentre toute seule du collège ce soir.
C'est la première fois.
Je fais plein de rêves bizarres dans lesquels se mélangent la rentrée de ma soeur, ma rentrée à l'IUT, les souvenirs des cours de l'année dernière avec Mme Kant et M. Rony, et tous les souvenirs en rapport avec le Sacré-Coeur.
Et avec lui.

Plus qu'une journée.

Demain je mange avec maman.
J'espère qu'elle ira bien, qu'elle ira mieux.
Ma mère m'a dit qu'elle l'avait trouvé fatiguée mardi.
Et qu'en plus son maquillage lui donnait un regard très méchant.
Peut-être qu'elle se maquille comme ça pour se faire respecter le jour de la rentrée.

Peut-être que je l'apercevrai un peu, lui.
Et puis ce sera fini.
Alors on pourra se voir le week-end.
La nuit sur Skype.
On s'écrira des mails, des textos.
On se parlera par téléphone.

Maman avait dit qu'elle lui dirait mon prénom tous les jours.
Pour ne pas qu'il m'oublie.
Est-ce que ce sera nécessaire ?

Est-ce que ce qu'on vit là c'est juste parce que je m'en vais ?
Est-ce que ça va continuer ?