Mon projet de partir à Malaga l’année prochaine se concrétise. Je vais rendre mon dossier de candidature mardi prochain. C’est un projet qui me tient à cœur, vous le savez. Mais la vie sans Eric m’attriste déjà.
Ce qui est bien c’est que ce sera dans un autre pays, avec une autre langue qui m’entourera. Je serai un peu perdue, un peu étourdie, et le manque sera différent je crois que lorsque je le quitte un week-end ou une semaine pour le ou la passer chez mes parents.
Le caractère de mon père est toujours aussi insupportable, il est d’une intolérance à faire vomir n’importe qui, une intolérance qu’il entretient ou bien qu’il ne contrôle plus. Ça fait partie du personnage. Il n’est pas mauvais au fond, il est juste mal avec lui-même. Une fois que tu as compris ça, tu es moins malheureux. Tu te dis que s’il est si méchant avec toi, c’est en fait contre lui qu’il est méchant. Mais parfois, quand même, c’est difficile à avaler. Difficile à vivre aussi.
Quand je vis chez mes parents, j’ai l’impression de vivre avec un malade, un type à qui on doit cacher certaines choses, pour qui on doit toujours tout faire bien au risque de provoquer une crise qui serait fatale. C’est son côté obsessionnel. Et c'est épuisant d'être toujours tirée à quatre épingles, de tout prévoir, de surveiller chaque objet afin qu'il soit à la bonne place. Comme si je surveillais un petit enfant dans un magasin de porcelaine. J'anticipe tous ses gestes. C'est éreintant.
Dans neuf jours c’est mon anniversaire.
En principe j’attends avec hâte ce jour, non pour recevoir des cadeaux mais pour vivre une journée avec cette joie au cœur, cette euphorie de vivre un jour plus important que les autres, un jour qui m’appartient.
Cette année, c’est plus compliqué. Mon anniversaire correspond justement au premier anniversaire de la mort de mon grand-père. Et forcément, je sens bien que personne n’a très envie de les fêter, mes 19 ans. Et puis 19 ans ça n’a rien de grandiose, rien de spécial qui mérite d’être fêté. Ce n’est pas 18 ans. Ce n’est pas 20 non plus. C’est bâtard comme âge 19 ans. Et pour moi, vous le savez, c’est toujours trop jeune.
Pourquoi ? s’acharne à me demander Eric. Pourquoi es-tu si mal dans ton âge ? Moi je trouve ça beau 19 ans. Je veux que tu aies 19 ans, que tu sois bien dans ton âge. Mais je ne peux pas. Je voudrais travailler, ne plus jamais dépendre de mes parents. Dépendre de moi pour manger et pour vivre chaque jour. Vivre dans un endroit dont j’ai payé ma part. Ne pas me sentir entretenue. Avoir un enfant. Etre une vraie adulte. Mes rêves ne sont pas ceux d'une fille de 19 ans.
Eric me vieillit un peu, et moi je le rajeunis.
Jamais personne ne paraît choqué par notre couple. Peut-être parce qu’Eric fait très jeune et qu’on m’a toujours dit que je faisais plus que mon âge.
Les plus de vingt ans d’écart ne sautent aux yeux de personne.
On nous appelle « monsieur et madame », « les jeunes », « les amoureux ». Jamais « le papa et la jeune fille ». Pourtant je suis toujours autant habillée en ado attardée.
J’ai accroché plein de badges colorés sur mon blouson en faux cuir. Je mets des robes très courtes et des collants roses fluo.
Je ne mettais jamais de robes, jamais de collants. Eric me donne envie d’être plus femme, plus jolie. Il me dit sans cesse que je suis belle et j’ai envie de le croire.
Moi aussi parfois je me trouve belle quand je me regarde dans la glace, surtout le soir. Mais avant de le rencontrer, je me disais que personne n’avait le même regard que moi sur moi, que c’était ça le problème. Or j’ai l’impression qu’Eric est mon double masculin.
Si j’étais un homme… je serais comme lui. J’en suis persuadée. J'en ai toujours été persuadée d'ailleurs, à chaque fois que je m'imaginais en homme, j'imaginais quelqu'un comme lui.
Nous sommes pareils. Homme ou femme peu importe. Nous sommes heureux.
Je me sens si épanouie depuis que je suis avec lui. Je n’ai pas honte d’être moi, encore moins qu’avant. Je n’ai jamais à faire semblant de m’intéresser à ce qu’il dit, jamais à faire semblant d’être heureuse ou comblée si je ne le suis pas. Il m’accepte comme je suis. Il m’aime surtout comme je suis. Sans retouche.
Et c’est ça le trésor.
Ça la chance immense.
Il m'aime aussi avec mes fantômes car la guérison n'est pas finie. Tu n'es pas malade qu'il me dit.
Mais je le suis quand même un peu. Malade d'Elle. Malade de cette histoire. Le positif c'est que je m'en rends compte. Que je ne renie rien de tout cela. Grâce à ça je me sens sereine, et ce poids-là n'est plus si lourd. Il l'est parfois, un soir où mon coeur déborde et mes larmes se mettent à couler en réalisant tout le temps et tout l'amour qu'on a détruit par cette histoire. En réalisant que j'ai détruit Sa vie. Et que je n'ai même pas eu le courage de lutter pour la reconstruire avec Elle. Je m'en veux encore tellement parfois.
L'autre jour -et vous savez combien j'aime entretenir le souvenir, combien j'aime tout garder, tous les vieux mots, les vieilles photos- je suis allée sur ce site internet qu'Elle avait créé pour moi et qui n'était connu que de nous deux. C'était une page web sur laquelle Elle postait régulièrement des albums photos où Elle se mettait en scène chez Elle, que ses amis prenaient d'Elle pendant les vacances, pour que je ne loupe rien de tout ce qu'Elle vivait sans moi. J'ai refait chaque album un à un, et j'ai copié toutes les photos dans un dossier caché dans mon ordinateur. J'ai toujours attaché une importance immense à l'image et aux photos. Je me souviens de la tristesse qui s'était emparée de moi lorsqu'elle m'avait fait savoir qu'elle avait supprimé toutes les photos qui nous représentaient ensemble, au cas où la police vienne fouiller dans son ordinateur. Ça m'avait tuée. Elles étaient belles ces photos.
Alors par nostalgie mais sans larmes, j'ai copié chaque photo d'Elle. Je les ai regardées sans douleur, comme si je regardais un album de vacances. Je m'exclamais tout bas "Ah oui là Elle était en Bretagne !" d'un ton joyeux pour me forcer à ne pas sombrer dans la tristesse. J'aurais pu ajouter "et dans le regret" mais non. Même si parfois je m'en veux, je n'ai pas de regret.
Aujourd'hui je suis heureuse et c'est un peu grâce à Elle. Et à vous :)
Pourquoi délaisser mon intimité écrite pour de petites images assez superficielles et humoristiques ? Peut-être parce que la tristesse est plus jolie à écrire et que le bonheur est plus facile à dessiner. Ou qu'il est plus facile de cacher sa vie en la mettant en images qu'en l'écrivant.
Mais les mots me manquaient. Votre présence aussi.
J'ai tourné le dos à tout le monde ces derniers temps. Je me suis consacrée à Eric et à moi, à notre heureux quotidien, à ma famille aussi. Je rentre toujours tous les week-ends pour les retrouver, les nuits me semblent pâles quand Eric ne m'accompagne pas. Le vendredi soir, quand je rentre, je me sens bien, au chaud, je me sens comme un bébé. Et puis le samedi soir, l'angoisse monte. J'ai du mal à être séparé de lui ce soir là.
Eric a arrangé beaucoup de choses dans ma vie et en moi. Mon rapport avec mes parents d'abord, et surtout avec mon père, qui me semble plus serein, plus confiant et plus affectueux envers moi depuis l'arrivée d'Eric dans la famille.
Et puis il me cajole, me donne toute sa confiance et tout son amour, il essaye toujours de me valoriser, de me déculpabiliser, même si les fantômes rôdent toujours.
Il ne peut les chasser, ce n'est pas à lui de le faire. Mais il m'aide à les oublier. Pas à les enfouir, non. Mais à ne plus y penser. À leur tourner le dos à eux aussi.
Il se sent coupable de me séparer de mes amis mais je lui assure que ce n'est pas de sa faute.
Et c'est vrai.
Voilà tant d'années que j'attends de vivre ça. Depuis que je suis enfant, j'aspire à vivre une histoire comme celle-là. J'avais eu un goût du bonheur que cela pouvait être quand j'étais avec Elle, mais ça avait trop vite viré au drame. Et se voir en cachette en savant qu'on risque gros, ce n'est pas la même douceur et la même simplicité que ce que je vis aujourd'hui.
Alors oui, j'ai beaucoup abandonné mes amis, mais c'est ce qu'ils m'encourageaient à faire depuis longtemps. Je les avais prévenus que quand mon coeur serait pris, mon temps le serait aussi.
Je ne fais rien en demi-mesure, avec moi c'est tout ou rien.
Et là avec Eric c'est tout, et avec les amis, c'est rien.
Quand quelqu'un me dit "tu vas pas voir des copines aujourd'hui ?" "tu ne sors jamais avec tes amis ?" je réponds que non, que je n'en ai pas.
Je ne dis pas ça pour qu'on me plaigne, je dis ça parce que c'est vrai, et ça ne me déplait pas forcément.
J'ai réalisé que l'amitié correspondait pour moi à de bons souvenirs. À de bons moments, qu'on passe avec spontanéité et vérité. Et puis si ça ne dure pas pendant des années ce n'est pas grave.
Parfois ça dure une soirée, parfois ça dure deux ans et puis après plus rien. L'important c'est de l'avoir vécu sur le moment, et d'en garder un souvenir doux et chaud.
Depuis septembre je vis chez Eric.
Garfu se retrouve donc seule dans l'appart et elle m'en veut.
J'avais pressenti ses reproches mais tout le monde me disait que non, qu'elle serait bien contente d'être tranquille, qu'elle pourrait baiser jour et nuit avec son copain et qu'elle serait bien mieux sans moi, que de toutes façons mes parents continuaient à payer le loyer et qu'elle n'avait rien à dire. Moi j'y pouvais rien, je me sentais un peu coupable mais en même temps je me disais que j'allais pas retourner vivre avec elle pour lui faire plaisir. Comme m'a dit Aurore l'autre jour "on ne fait pas sa vie avec ses copines...". Et elle a raison.
C'était bien cette année de colocation. C'était génial même.
Mais pour moi l'amitié représente un truc en-dessous de l'amour. Quand il y a l'amour il n'y a plus rien d'autre.
On devient égoïste, on ne pense qu'à soi et à l'autre.
Elle doit se dire que, peut-être, je réaliserai ce qu'elle représentait pour moi quand ça ira mal avec Eric. Mais pourquoi ça irait mal ?
J'ai très envie de partir en Espagne l'année prochaine, faire une licence d'audiovisuel. Je serai donc séparée d'Eric et de tous pendant un an, enfin disons pendant tout le temps qui passera entre les vacances et les week-ends où on se rendra visite. Ce qui fait quand même beaucoup comparé à ma vie d'aujourd'hui.
Et après ma licence, que vais-je faire ? Vais-je travailler ? Où ça ? Est-ce que ce sera dans la même ville qu'Eric ? Ou bien ailleurs ? Revivra-t-on ensemble tout de suite ?
Rien n'est si sûr et je veux en profiter, jusqu'au bout, sans me sentir coupable.
Dans quelques minutes je vais rejoindre Aurélie en ville, autour d'une bonne boisson chaude dans mon salon de thé fétiche. Ce soir Claire vient dîner. Cela fait des mois que je n'ai vu personne.
Les études à l'IUT me font l'effet d'une gigantesque colocation. Comme si on vivait tous les uns sur les autres pendant deux ans. Ils étaient tous des inconnus il y a encore quelques temps. Et puis maintenant on se connaît, on connaît nos vies, on ne lie rien ou presque qui puisse mener à des déceptions ou des reproches et c'est bien. C'est un peu une communauté, et donc une expérience qui creusera un certain vide une fois qu'elle sera terminée.
Mais encore une fois, elle correspondra à un souvenir chaud et coloré, quelque chose qu'on se racontera plus tard et qui nous fera sourire si par hasard il pleut dans notre coeur.
J'aurais mille choses futiles à vous raconter et je ne sais pas par où commencer.
Je vais peut-être commencer par publier cet article si je ne veux pas être en retard à mon rendez-vous avec Aurélie...
Bon week-end les amours, et à très vite j'espère.
Après
vous avoir raconté depuis plus de trois ans mes malheurs, mes petits et grands
drames quotidiens, mes souffrances morales, mes souvenirs, difficile de
raconter soudainement du bonheur. Comment raconte-t-on le bonheur ? Aucun
livre ne traite de bonheur du début à la fin. La vie non plus à vrai dire. Et
pourtant. Même s’il m’arrive toujours de me sentir grise, même si des larmes
coulent toujours sur ou sous mes joues, même si je fais quand même la gueule à
cause d’une parole acide, d’un raté, même s’il y a toujours des trucs qui
foirent, des maux de tête, de ventre, de dos, de la fatigue, des trucs qui
stressent, des trucs qui viennent me claquer des gifles sur ma peau rougie d’un
coup, je suis heureuse.
Quand
j’étais dans l’attente de jours meilleurs, j’avais aussi du travail, des textes
à analyser, des exercices à faire. Mais les moments que l’on se consacre à soi,
à tenter de se sentir bien, à caresser la couette blanche du bout de son pied,
à se pelotonner contre son oreiller ou contre son ordinateur, à écrire pendant
de longues heures les mots d’amour qui n’iront jamais se lover dans le creux de
l’oreille de celui qui ne voudra jamais de nos bras de velours, ces moments-là
je ne les passe plus à taper frénétiquement sur mon clavier. Je les passe contre
la peau de cet homme merveilleux, la main sur nuque nue et douce, la bouche
près de ses lèvres épaisses et tendres. Il est si beau là, devant moi. Je
m’extasie silencieusement de son profil. Je ne pourrais plus m’en passer.
Comment une femme n’a-t-elle pas bataillé, avant moi, pour garder tout contre
elle cet homme-là, cette pierre précieuse, ce concentré de tendresse et de
compréhension, cet amour incarné. Je ne comprends pas… Mais j’ai de la chance.
La chance d’être celle-là, je l’espère.
Les
journées sont longues jusqu’au soir où la tranquillité nous réunit enfin, et
pourtant il est tout près, dans son bureau, à quelques mètres de la classe dans
laquelle je suis en cours.
J’ai
été très surprise et très émue des réactions des personnes de ma classe. Je ne
m’attendais pas à de mauvaises réactions, pas à des regards lourds de jugements
mais… Mais pas à une telle bienveillance.
Mais forcément, quand tout se passe bien, LE truc qui passe mal nous saute aux yeux.
Parce qu’il fallait bien qu’il y ait une exception :
L’autre
midi, je discutais tranquillement du futur film que nous allons tenter de
réaliser avec Frédéric quand il m’a murmuré de ce ton grinçant que je supporte
mal :
-Et
tu sais ce que tu vas faire l’année prochaine ?
-Tu
le sais bien… Je voudrais partir pour Malaga. Un an. C’est mon rêve.
-Oui…
Malaga. Mais Éric ? Il est d’accord ?
-Je
ne peux pas te dire que ça le réjouit. Mais on y est pas...
-Il
va venir avec toi à Malaga. C’est évident.
-Ben
euh non pas forcément. Tout lui sourit au Havre. Pourquoi il viendrait avec
moi, alors qu’il ne parle pas un mot d’espagnol, alors que ce n’est pas du tout
son rêve à lui ?
-Enfin
bon. Tu es un peu fofolle quand même.
-Fofolle ?
Attends, ça veut dire quoi ça ?
-Bah
tu sais très bien.
-QUOI ?
-Il
va s’attacher.
-Mais
qu’est-ce que tu crois ? Il est DÉJÀ très attaché. ET MOI AUSSI. C’est
très sérieux, Frédéric.
-Mais
oui, c’est ça. Tu sais très bien que tu vas lui faire du mal.
J’éteins l’iMac sur lequel
j’étais en train de travailler, me lève et range furieusement mes affaires dans
mon sac à dos.
Je
n’ai pu digérer ses paroles de toute la journée.
Jusqu’à
ce qu’Éric me regarde avec douceur le soir, pendant le dîner, et me dise :
Tout le sang de mon corps m’est monté à la tête et je suis devenue écarlate.
Parmi toutes les autres choses que je préfère.
Deux jours après, j’ai reçu un texto de Frédéric qui s’excusait.
Ouf.
Je n’aurais pas aimé avoir l’impression d’être en tort en n’acceptant pas une pensée contraire à la mienne.
Encore
et encore je me suis confrontée au mot « ami » que j’ai du mal à
supporter. J’ai compris que ce n’était vraiment qu’un problème de vocabulaire,
ou du moins de sens. Je crois pouvoir dire que cela fait des années que je me
plante royalement. Je n’ai pas bien compris. J’ai donné un autre sens à ce mot
et j’en paye un peu les conséquences. La déception. Qui ne devrait pas exister
ou en tout cas un peu moins que si je ne m’étais pas trompée.
Et c’est là que je me suis trompée, lorsque je me suis dit « ces personnes sont mes amies, ces autres sont inqualifiables ». J’aurais peut-être dû me dire « ces personnes sont ces connaissances, des éphémères, je me suis confiée à elles aujourd’hui mais demain elles ne me salueront pas car elles auront oublié mon prénom. Mais ces autres sont des amies. Même si elles sont trois en tout ».
Ma mère répète à longueur de journée « J’ai 46 ans, je ne vais pas continuer à me faire chier avec des cons, avec des personnes qui ne font jamais d’efforts, qui ne répondent jamais aux miens ».
Je n’ai que 18 ans, je me sens fréquemment très bête d’écrire comme ça des phrases et des phrases avec ces idées bien trop grandes pour moi, bien trop bourrées de certitudes. Et pourtant j’ai bien 18 ans, je suis à peine une adulte pour la plupart des gens mais je n’ai pas envie de me bousiller le cœur avec des personnes qui ne le méritent pas.
J’ai discuté un petit moment avec Christine l’autre matin. Elle m’a parlé brièvement de ces rumeurs qui pourrissaient l’ambiance du lycée, ces histoires si puériles et malsaines.
Je me suis sentie à la fois très légère et très méprisante d’être fière d’avoir quitté ce monde-là.
Non à vrai dire, c’est des conneries de dire que je suis fière de l’avoir quitté : j’étais bien obligée. Je n’allais pas redoubler ma terminale à l’infini.
Christine
m’avait dit de couper le cordon. C’est ce que j’ai fait. Peut-être aussi que la
distance m’a aidée. Peut-être que l’ignorance suprême du Prince aussi, me
laissant définitivement sans nouvelles de cette planète-là. Christine c’est
autre chose. Elle est comme la moitié de moi-même. Elle n’est pas une des profs
de français du lycée. Elle n’est pas la prof d’expression scénique.
Elle
est tout cela, certes, mais plus pour moi. Elle est bien plus.
La vie est une éternelle remise en question. Tu te crois enfin sûr de quelque chose, tu te jures de ne plus te faire avoir, de ne plus céder à cette personne, de ne plus t’attendrir devant elle parce qu’elle tente de te détruire chaque année depuis que tu la connais, soit seize ans. Et puis là le cerveau de son père, qui est aussi le parrain de ta sœur, se remplit de sang suite à un infarctus, et le paralyse peut-être pour toujours. Alors ton cœur et tes yeux pleurent parce que le passé te repasse sous le nez, avec un filtre orangé, la musique et vos gambettes qui courent, au ralenti, dans les herbes folles du jardin de tes grands-parents. Parce que son père est profondément gentil, parce qu’il t’a toujours défendue, parce que son choix de vie te touche un peu plus que les choix des autres, parce qu’il ne peut que te comprendre.
Ce
week-end, grande fête dans le Vexin pour les 10 ans de ma petite cousine.
Presque toute la famille était là. J’en ai profité pour leur présenter Eric,
qu’ils ont accueilli chaleureusement.
Chaque
moment était beau, je me sentais bien au milieu de la smala et près de mon
amoureux, pouvant voguer de l’un à l’autre en me déplaçant d’un ou deux mètres.
Il
ne faisait pas très beau mais les feuilles rousses qui tapissaient le sol que
l’on voyait à travers la baie vitrée m’enthousiasmaient. J’ai toujours aimé
l’automne. C’est une saison qui me porte, qui me parle. Et les citrouilles à la
fin du mois… Si quelqu’un veut encore bien se déguiser en sorcière avec moi.
Mais
le moment que je garderai sûrement gravé très profondément, dans mon cœur comme
dans mon corps, c’est le moment où j’ai demandé à Emilie si je pouvais prendre
un peu Liam dans mes bras pour le bercer. Liam est mon petit cousin, je ne
l’avais pas revu depuis ma semaine à Epône, la semaine qui avait suivi sa
naissance, il y a deux mois et demi.
Elle
me l’a confié avec beaucoup de tendresse et de précaution, comme si c’était un
immense privilège, et ça l’était, certainement.
Je
vous ai déjà dit que je ressens Liam plus que les autres bébés. La vie est
toujours émouvante, surtout lorsqu’elle commence, aussi jolie, aussi douce,
aussi simple. Mais Liam me fait cet effet puissance dix mille. Il m’émeut aux
larmes et plus encore.
Lorsque
j’ai senti son poids dans mes bras, sa chaleur sur moi, mon cœur s’est mis à
battre la chamade et ne s’est pas arrêté jusqu’à ce qu’il s’endorme et
qu’Emilie le reprenne pour aller le mettre dans son couffin.
Deux
mois et demi ça me semble déjà énormément. Je n’aime pas les gens qui méprisent
les jeunes, qui méprisent tous ceux qui n’ont pas au moins 35 ou 40 ans. Les autres ne connaissent rien de la vie,
voilà ce qu’ils pensent.
Et
bien que les profs de philo et Amélie Nothomb disent à qui veut l’entendre qu’à
deux mois on est qu’un tube inconscient et amorphe dans laquelle la nourriture
passe, comme un train. Je vois mon petit Liam sourire jusqu’aux oreilles en
regardant ses parents et je suis persuadée qu’il en sait bien plus que tous ces
cons. Même si eux aussi ont un jour éclaté de rire parce qu’on leur
gratouillait le ventre ou parce qu’on agitait une girafe en plastique devant
leur nez.
Je suis pleine de contradictions, pleine d’idées qui ne tiennent pas debout. Mais Liam est beau et encore une fois, il me pousse à ne voir que de la beauté partout où je regarde.
Comme ça me fait plaisir de vous écrire :)
Je sens un poids qui pesait un peu sur mon coeur qui vient de s'envoler. Il ne s'envole pas d'un battement d'aile gracieux et doux, non. Il prend un envol maladroit, m'égratigne un peu le coeur en passant mais je préfère ça. C'est légitime.
Moi qui ne suis pas calculatrice, dès que je me mets à calculer un minimum, ça me rend malade.
Nous sommes rentrés en fin d'après-midi de nos deux semaines dans le Sud. Plus rien dans le frigo. Mon père propose d'aller manger au restaurant chinois d'à côté. Comme en plus c'est le 15 août et que c'est donc ma fête, nous acceptons tous avec joie.
Arrivés au restaurant, je me mets à me dire que c'est le moment. Que c'est LE soir pour lui annoncer. Ma mère et ma soeur savent déjà, mais je ne peux me confronter seule à lui.
Quand arrive enfin le dessert, je bégaye très vite, en m'étouffant un peu :
-Bon alors comme c'est le dessert et que c'est ma fête, j'aimerais vous annoncer officiellement que j'ai un amoureux et que je suis très... heureuse. De... De vous le dire.
Je crois me souvenir que j'ai vu un vague sourire sur les lèvres de mon père puis il a vite changé de conversation en me demandant ce qu'était exactement le dessert que j'avais choisi et qui se trouvait dans mon assiette.
Ma mère s'est exclamée :
-Bahh ! Tu lui demandes même pas comment il s'appelle ??
Alors mon père m'a encore un peu titillée sur mon dessert puis il a lancé comme ça :
-Bon alors euh... tu l'as trouvé où ton amoureux... ?
J'ai répondu nerveusement :
-Il s'appelle Eric, il a 39 ans, je l'ai rencontré à l'IUT, c'est mon ancien prof d'informatique et euhh enfin voilà, c'est quelqu'un de très bien et qui m'aime beaucoup.
Je n'ai pas voulu regarder son visage lorsque j'ai dit 39 ans et prof, mais je l'ai entendu murmurer un d'accord.... sur un ton un peu rigolard mais dont je n'ai su que penser.
Quelques minutes plus tard il a ajouté cette phrase dont il aurait pu se passer :
-Donc il pourrait être ton père.
-Ben euh oui... J'en ai pas fait exprès, c'est comme ça, j'y peux rien, je peux pas faire autrement.
Là ma mère est intervenue en comparant la situation à celle d'un couple que nous avons rencontré pendant les vacances et que mon père a adoré. Le mari a plus de 20 ans de plus que sa femme. Et il est tombé amoureux d'elle dès le premier jour.
Il n'était pas nécessaire que je précise que j'y avais pensé durant toute la semaine.
C'était un bon moyen de bien finir nos vacances communes, de tenter de reconquérir la confiance perdue de mon père, et de partir pour ma dernière semaine hors de Normandie avec le coeur plus léger. Sans mensonge ni non-dit.
Dimanche je pars chez mes cousins saumurois et mercredi, Eric vient me chercher à Saumur pour m'emmener près de la Rochelle, dans la maison de sa maman.
J'ai commencé mes vacances dans le sud par une semaine à Narbonne, dans la maison dans laquelle j'avais passé un mois il y a deux ans, pour garder mes petits cousins.
Les petits cousins, soit-dit-en-passant madrilènes, avaient bien grandi et j'étais contente de les retrouver.
Parmi les six petits cousins, enfants de la cousine de mon père, Lucile, et de son mari Gilbert, il y a Sarah.
Sarah est la plus belle petite fille que j'ai vu de toute ma vie. Elle a eu 8 ans fin mars. Quelques cheveux d'or se mêlent à sa tignasse cuivrée. Son regard sait se fait dur ou doux, selon la situation, selon l'intérêt. Sa peau caramel, sent le chocolat et les blés. Elle rit toujours, ou pleure, excessivement. Je n'ai jamais entendu de rire aussi doux à l'oreille. Sauf peut-être celui d'Eugénie. D'ailleurs dans mon cerveau, Eugénie et Sarah sont les mêmes. Des princesses auxquelles on ne peut résister. Elles pourraient être des pestes, qu'elles sont souvent d'ailleurs, on leur donnerait le Bon Dieu sans confession. Elles sont à se taper le cul par terre, à tout abandonner. Sarah fera tomber chaque personne qu'elle rencontrera. De son insolente innocence. Ou bien est-ce l'insolence qui est innocente ?
Sarah m'a toujours fait craquer. Elle fait sa sauvage, m'observe de loin, de la tête aux pieds. Elle me juge, sans prendre de gants, ni de lunettes noires pour se cacher.
Mais on se laisserait dévorer par elle. Elle n'aurait qu'un mot à dire pour qu'on rampe à ses pieds.
Et puis elle s'approche, féline, et finit par enserrer mon cou de ses bras dorés.
Quand elle est dans la pièce, il faut s'obliger à ne pas la regarder. On passerait des heures à ça. A observer sa nuque parfaite, ses grains de beauté à croquer, son nez délicieusement arrondi, ses lèvres insolentes elles aussi, son sourire presque grimaçant, et la courbe de ses paupières, achevée par un éventail de longs cils cuivrés.
J'ai pris des photos d'elle mais ce n'est pas vraiment elle que je retrouve sur mes clichés.
J'ai compris qu'elle savait désormais jouer de ses charmes. Du moins en partie.
Elle n'est plus la Sarah brut d'avant. Celle qui voulait toujours que je lui chante Elisa, pendant que je la berçais. J'en faisais des versions à moi et lui murmurais "Sarita, Sarita, Sarita saute-moi au cou, Sarita, Sarita, Sarita cherche-moi des poux...".
Maintenant j'ai compris que son sourire est calculé d'avance. Son rire aussi. L'insouciance quitte peu à peu ses yeux. Elle a conscience du pouvoir de son physique.
Sarah sera bientôt une jeune fille qui tuera d'un regard.
J'ai passé ma deuxième semaine près de Nîmes, dans la famille de ma mère.
Magnifique maison, perchée dans un petit village adorable. Vue sur l'immense colline de la piscine et de la terrasse. Apéro chaque soir. Cigales qui chantent. Cousins qui grattent les cordes de leurs guitares avec talent. Amour dans l'air. Bons petits plats de ma tante. Une vraie semaine de vacances, de farniente, de douceur presque angevine.
En revenant de quelques jours passés dans cette maison, ma grand-mère m'avait confié, les yeux humides, que regarder le paysage l'attristait car elle aurait aimé que mon grand-père puisse le voir.
Je m'étais dit que je comprenais sa peine, mais je pensais qu'elle était liée au deuil.
En sortant sur la terrasse et en me laissant envahir par la beauté du lieu, j'ai ressenti cette même tristesse. D'abord de me dire que Papane ne verrait jamais cet endroit. Puis de penser que mon Eric ne pouvait pas voir ça en même temps que moi. J'aurais aimé le serrer dans mes bras, l'embrasser très fort, prendre sa main et aller marcher sur la colline, vers le soleil couchant.
Je ne pensais pas qu'il me manquerait tant.
Je m'étais dit qu'un mois n'était rien, comparé à mon passé de patience. Mais je crois que j'en ai un peu marre de la patience, du moins de celle-ci. J'ai hâte de retrouver ses bras, sa peau, sa voix en vrai, son regard, ses lèvres, sa langue... J'ai hâte de me blottir près de lui. De pouvoir lui murmurer des mots doux au creux de l'oreille, et pas au creux d'un morceau de plastique.
Je l'aime un peu plus chaque seconde, chaque minute, chaque jour. C'est doux et intense. Cela me plaît. Je suis heureuse, je n'hésite pas à le dire.
J'ai été un peu déçue de voir que les personnes sensées être mes amies ne manifestent que si peu d'enthousiasme à l'annonce de mon bonheur. Peut-être que c'était pratique quand j'étais malheureuse. Quand ils n'allaient pas bien, ils pouvaient se dire que ça ne serait jamais aussi dramatique que moi. Je les avais tous prévenus que je serais moins présente si par bonheur, je trouvais un amoureux. Peut-être que le bonheur des autres ne les réjouit pas. Peut-être ont-ils peur. Peut-être était-ce jouissif pour eux de me coller sous le nez leurs tartines de bonheur pendant que je rampais. Peut-être n'est-ce plus du tout drôle désormais.
Mais ce n'est qu'une petite déception, une déception presque habituelle, même si elle ne s'était jamais manifestée pour cette raison. Cela m'importe finalement peu. Je suis bien avec Eric. Maintenant c'est lui ma priorité. Lui mon refuge. Lui mon rêve réel. Lui mon rire. Lui mon bonheur. Lui ma raison de me lever le matin. Lui qui me fait du bien. Lui qui réalise mes souhaits avant même que je ne les formule.
Je découvre chaque jour ce qu'est d'être heureux de façon complète.
Pas d'ombre au tableau.
Juste quelques kilomètres qui nous séparent, mais plus pour longtemps.
Il pleut dehors. Je suis seule, sur mon lit, juste éclairée par ma lampe de chevet. J'aime cette ambiance feutrée et le bruit de la pluie sur ma fenêtre.
Je me complais dans cette douce solitude qui me manqua un peu pendant ces 15 jours d'omni-présence des autres. J'aime cette solitude car c'est délicieux d'être seule mais pas tout à fait. De sentir vivre un habitant dans mon coeur. De sentir sa présence dans mon corps, dans mon ventre, mes entrailles, d'attendre des nouvelles de lui, un message, un appel. De savoir que cette solitude n'est qu'un creux, un vide, entre deux moments où l'on est ensemble.
J'ai toujours aimé profondément la solitude, sauf quand elle devenait insupportable. Mais elle m'a permis de me découvrir, de me regarder dans les yeux, de comprendre qui je suis, ce que je veux, ce dont j'ai besoin. Comme je l'écrivais à Christine, je suis également persuadée qu'on se construit en cotoyant les autres. Mais il n'empêche que ces longs moments de narcissisme et d'ennui m'ont permis de m'accepter et de créer.
C'est aujourd'hui, samedi soir, dans cette délicieuse solitude, qu'un petit oeuf dans mon ventre va se briser, déversant du sang en moi pour quelques jours. Ce phénomène m'émeut toujours, même depuis qu'il est rendu artificiel par la prise de ces pilules qui l'empêchent de me bouffer toute mon énergie. C'est inexplicable que cela me charme, mais c'est tant mieux. Tant de femmes trouvent cela insupportable.
Je me souviens que bien avant que cela m'arrive, j'avais lu ces mots dans un des merveilleux romans de Malika Ferdjoukh :
-Pour moi c'est comme porter, quatre ou cinq jours par mois, un diamant caché même si tu es fringuée comme une voleuse de poules. C'est porter un objet précieux à l'insu de tout le monde. Une plaisanterie très privée, rien qu'entre toi et toi. [...] Ce que je préférais quand j'étais encore de ce monde, c'était marcher sur la plage ces jours-là. J'avais la sensation que personne, sauf moi, ne pouvait comprendre avec une telle perfection les vagues et leur mouvement. J'étais une vague moi-même. [...] Parfois tu penseras quelle idée ! quelle idiotie ! quel fardeau ! quel ennui ! Et d'autres fois, tu diras quelle idée (mais sur un ton différent), quelle surprise, quelle chose étonnante ! Parfois tu te sentiras délicate. D'autres fois incassable.
Quelques années plus tard, en les relisant pour la énième fois, j'avais souligné avec tendresse ces quelques lignes.
Ce passage pointe, à mes yeux, la beauté de la féminité, sûrement ce qui m'émeut tant. Cela me fait aussi penser à ce sentiment qui s'éveille en moi à chaque fois que je regarde un film de Sofia Coppola. Qui mieux qu'elle sait aussi bien exprimer la féminité à l'image ? Sa vision est du moins très proche de la mienne. C'est comme un concept que je ne saurais décrire de façon exhaustive. Plus que des mots, des images, plus que des images, des sensations. L'effluve délicate ou assassine d'un parfum, la douceur particulière d'une peau ou d'un tissu, la couleur outrageuse ou effacée d'une lèvre, le cachemire d'une voix tremblante ou trop sûre d'elle, et enfin le goût d'une langue, d'un doigt, qui redessine à l'infini le contour d'une bouche.
Ces mots iraient sûrement aussi à un homme. Mais c'est moins spontané chez moi. Pour l'instant. Et plus pour très longtemps... Car je m'émerveille des diverses intonations d'Eric, de ses je t'aime murmurés, de ses mon coeur un peu plus aigus, de son rire, que je ne fais qu'entendre pour l'instant, mais je ferme les yeux et vois ses yeux se plisser, comme deux croissants de lune.
Je me demande souvent ce qu'il y a de plus beau que le ventre d'une femme. Je ne suis pas sûre d'un jour lui trouver un équivalent, mais cela ne me tracasse pas vraiment. Trop de gens n'ont pas encore conscience du propre trésor qu'ils constituent, de la propre magie qu'ils sécrètent, chacun, avec leurs propres corps, leurs propres coeurs, leurs propres souvenirs, leurs propres défauts et leurs propres qualités.
Est-ce la solitude qui permet cette douce prise de conscience égoïste mais essentielle ? Ou bien est-ce l'amour inconditionnel qu'on nous porte un jour... ? Cet amour qui nous permet un matin de nous trouver beaux, aimables, désirables, méritants. Qui nous permet de nous accepter, moralement et physiquement. Qui nous permet de nous sentir homme ou femme, ou seulement humain. Profondément humain, puissamment vivant.
Il me suffira simplement d'inventer avec moi-même une subtile et poétique métaphore pour accepter tout à fait le corps masculin de mon bien-aimé. Pour accepter totalement de danser la nuit dans les bras d'un homme. Je le sens pousser en moi, je sens la nature parler, je sens le soleil entrer en moi, j'ai presque écarté toutes les images qui m'effraient, l'amour a fait tout le boulot, c'est magique, merveilleux, infini, immortel.
Cela ne me semble pas du tout insurmontable. Non. Au contraire.
Puisque j'y suis presque arrivée.
:)
La semaine dernière j'étais dans les Yvelines, pour rendre visite à mon tout nouveau petit cousin, le fils de mon parrain Thomas.
Thomas est le deuxième petit-enfant sur les dix-sept que nous sommes.
Je suis la septième.
C'est idiot mais je ne vis pas cette naissance comme les autres.
Elle instaure une sorte de compétition. Et bien que sourde, elle est là.
Et puis cette naissance m'émeut, profondément.
Sans doute parce qu'elle a surgi dans la cellule de la famille dont je me sens la plus proche. Celle que mon oncle Philippe a créé.
J'ai donc retrouvé pour la énième fois la maison à la grille bleue, cette maison dans laquelle je me sens si bien. Et pas seulement parce que je sais Sylvaine si proche, non.
Le doux air des Yvelines me réconforte, m'apaise.
Plus que nul part ailleurs, je me sens chez moi, comprise.
Je me mets à songer à un éventuel retour ici, plus tard.
Quelques minutes après, ma tante me demande où j'aimerais vivre dans quelques années.
Je souris.
Ici.
J'aime cette bulle dans laquelle je m'enferme à chaque fois. Bulle de douceur, sans haine ni violence. Comme si ces mots et les sentiments qu'ils désignent avaient été bannis de cette maison, voire de cette région.
Les murs de chez Philippe transpirent la bonté, la bienveillance. C'est sidérant.
Sylvaine n'était pas disponible de la semaine, je ne pouvais venir la voir le soir à cause de son mari et de son mal-être actuel.
Alors vendredi je me suis levée un peu plus tôt, je suis sortie dans la rue tiède, du miel encore imprimé sur ma langue, et j'ai marché jusqu'au portail de la maison de Sylvaine. Elle était justement dehors, seule. Ses longs bras m'ont fait signe d'entrer.
Nous nous sommes assises un court instant. Elle n'avait pas l'air d'avoir envie de parler d'elle.
Sur elle un nouveau parfum. Mes narines n'ont pour une fois pas eu à se contenter de la simple odeur de ses vêtements, lavés avec cette lessive qui m'enveloppe tendrement.
Ses cheveux volettent et des effluves de son shampoing arrivent jusqu'à moi. Je le reconnais et me jure d'en acheter une bouteille dès que j'en aurai l'occasion.
Je suis encore une fois étonnée, surprise, émerveillée de la légèreté qu'il y a dans ses paroles, dans sa façon de se mouvoir, dans les gestes que font ses mains, alors que quelque chose pèse si lourd dans le fond de son regard chocolat dans lequel je fonds, encore et encore.
La Touran s'éloigne, je rentre paisiblement à la maison, trouvant chaque feuille virevoltante, chaque grain de poussière brillant au soleil d'une beauté absolument miraculeuse.
Elle me fait toujours cet effet. Personne ne peut lutter contre elle. Personne ne peut résister.
Je n'ai jamais su si elle avait réussi à voir mon court-métrage. Je n'ai pas pensé à le lui demander, ce ne sont pas des choses qu'on se dit avec la voix car elle n'aurait su dire son émotion.
Nos échanges oraux sont toujours d'une banalité qui bien souvent me désespère un peu, mais il y a les mots qu'on écrit, et les mots des autres, qu'on s'offre depuis le début...
A chaque fois je ressens la même chose.
D'un sourire, d'un regard, elle me pousse à être heureuse à sa place.
Comme si elle vivait par procuration, dans mes silences souriants, un peu de son bonheur envolé.
Comme si un vent s'appuyait contre mon dos, me forçant à foncer, à regarder droit devant, à avancer vers un ailleurs, un autre, sans fantômes, sans l'obscurité de ce passé qui me torture encore.
Dimanche soir, au Havre.
Florent et Nicolas sont repartis de notre petit week-end entre copains, et Eric vient me chercher.
On s'embrasse, juste un baiser, comme une évidence. Comme si on avait toujours été ensemble.
Et puis il m'emmène chez lui, pour la soirée.
Nos regards ne tardent pas à se rejoindre, puis nos lèvres, puis nos langues, puis nos peaux, incessamment, sur le canapé.
La nuit assèche nos gorges, des douleurs torturent mes jambes, je suis à la fois infiniment bien et puis un peu mal.
Cette peur de l'homme qui me prend à la gorge, cette répulsion incalculée.
Mon coeur se bat contre mon corps. L'amour contre la peur.
J'ai envie de lui mais ce désir ne me vient pas aussi naturellement que me vient celui que je peux avoir pour une femme. Il est paralysé par la peur.
Difficile de trouver une autre façon de se donner, physiquement, à un homme. Mais mon corps a du mal à l'admettre. Il souffre de s'y résoudre. Comme un danger, comme une violence incommensurable qui se dégagerait de ce morceau de chair. Ma main se refuse même à l'effleurer. Mes yeux à le regarder. Pourtant ce corps chaud contre le mien me semble familier. Comme si, comme j'ai déjà caressé maintes et maintes fois le mien, mes mains l'avaient déjà parcouru.
J'ai l'impression de le connaître déjà, comme s'il me ressemblait, lui aussi. A un détail près.
Au petit matin, il finit par glisser en moi.
Mon désir est plus fort que le plaisir éprouvé, mais peu importe. C'est à la fois trop important pour me laisser indifférente et à la fois trop secondaire pour que cela me chagrine vraiment.
Eric est là, près de moi, son coeur près du mien. C'est la seule chose qui compte.
On rit en pensant à la rentrée. On tente de trouver le ton le plus juste et le plus neutre pour se dire "bonjour".
L'après-midi on va à la plage. Il y a du vent et un grand soleil. Allongés sur les galets, on se cache sous un k-way pour ne pas se faire attaquer par les petites bêtes d'orage qui infestent l'air.
Et puis la mer s'approche, tente de nous lécher les pieds mais nous remontons un peu plus haut, toujours de justesse. Elle avance, tentante. On finit par ne plus pouvoir lui résister et on plonge. On goûte le sel de l'eau sur les lèvres de l'autre.
Je me pends à son cou, dans l'eau je suis légère, je suis une plume, une frêle sirène.
On s'embrasse et l'eau tourne autour de nous, nous fait tourner, ou bien est-ce nous qui tournons.
J'ai l'impression d'être dans ce film -d'espionnage je crois, dans lequel les deux héros principaux échangent l'un des baisers les plus longs du cinéma. La caméra tourne autour d'eux, jusqu'à ce que l'image se colore différemment et devienne floue.
A cet instant je ne pense plus à rien d'autre qu'à lui. Qu'à nous. Je me sens bien. J'ai laissé tout le reste au fond de l'eau.
Et même si j'essuie quelque larmes dans la nuit, même si des sanglots me remontent dans la gorge, parce qu'à la fois c'est trop beau, parce que je ne pensais pas avoir, encore, une chance pareille.
Parce qu'aussi j'ai trop peur de faire du mal à Eric, parce que j'ai cette phrase dans la tête :
"tout le monde s'est alors mis à penser que c'était une pathologie que tu avais. Qu'une vie de détruite, ça suffisait".
Il m'accepte avec mes troubles, avec mon passé, avec mes névroses. Il me perçoit comme je me perçois moi. En une version un peu améliorée bien sûr. Mais on se comprend. Un peu trop mais c'est bien.
"Il n'y a pas d'amour au hasard" dit Jenifer dans sa chanson "Donne-moi le temps". J'ai un peu honte de la citer mais cette chanson m'a toujours particulièrement parlée.
Je pense que c'est en partie vrai.
Je persiste aussi à croire que je suis une sacrée chanceuse. D'être tombée sur lui.
Soudain j'oublie tout le reste, toutes les déceptions. Cela ne compte plus. C'est dérisoire.
Ce qui est merveilleux c'est que sous son regard, ses mains, ses baisers, je me sens moi. Je n'ai pas besoin de me forcer. Je peux rester telle que je suis, je peux lui dire les choses clairement, de manière très crue même. Sans aucun détour. Quand ce n'est pas lui qui trouve les mots, c'est moi. Et inversement.
Je rentre à Rouen le lendemain.
Le soir, Nanane (ma grand-mère) vient dîner et dormir à la maison.
Vers 22h, Eric me téléphone. Je m'éclipse pendant une demi-heure dans ma chambre.
Lorsque je redescends, Nanane me demande, par intérêt et non par curiosité, "c'était qui ?".
Je bégaye une seconde, lui lançant un regard entendu qui annonce la joie et la tendresse des mots qui vont suivre.
"Mon amoureux !"
J'ai comme l'impression qu'elle explose de joie. C'est silencieux pourtant, mais ses yeux brillent vraiment.
A cet instant je sais parfaitement à quoi elle pense. Je ressens très exactement son sentiment. Elle me donne tout par les yeux, toutes ses émotions, les réflexions paradoxales que cette nouvelle lui déclenchent, et puis me dit :
-Y'a rien de mieux que d'avoir un homme qui nous aime. Après, on se fout de tout le reste...
-Oui... Rien de plus beau.
-Et si en plus ça peut durer...
Elle ne me demande pas beaucoup de détails. Je lui dis qu'il est bien évidemment plus âgé. Ça ne l'étonne pas, je les avais prévenus. Ils savent tous que je n'en fais pas exprès mais que c'est irrémédiable.
"Pas marié ? Complètement libre ?".
Mais oui, complètement libre. Les gens indisponibles ne m'intéressent pas. Au loin brille une alliance et je m'enfuis.
Il m'aime, tu sais. IL M'AIME.
Et son prénom.
-J'ai toujours aimé "Eric". D'ailleurs si Marie-Pierre avait été un garçon, je l'aurais appelée Eric.
Je souris.
Et puis cet après-midi, lorsque je la raccompagne jusqu'à sa voiture, je l'embrasse une dernière fois et elle me dit à l'oreille, dans un grand sourire affectueux :
-Des bisous à Eric... Et tu me l'amènes quand tu veux !!
Je me sens bien.
Je ressens déjà un manque, de plus en plus fort, de plus en plus profond. Et cela me réjouit, me conforte dans cette idée de bonheur auquel je crois à fond.
Un petit mois de vacances ce n'est rien. Tu as connu bien pire. Et là tu as le droit de prendre de ses nouvelles autant de fois par jour que tu le souhaites. Tu as le droit de parler de lui. Tu as le droit de dire et redire son prénom sans que cela ne provoque des foudres.
Je sens ces vacances comme de belles vacances, de nouveau. Je n'ai plus aucun problème. Je peux enfin recommencer vraiment à vivre. Car je ne vis pas sans amour, je survis.
Mais fini de survivre, Marie. Tu vas de nouveau aimer, tu vas de nouveau être aimée, tu vas de nouveau donner et recevoir, comme un miracle. Tu vas de nouveau sourire naturellement, parce que tu en as envie, et non parce que c'est ce masque là qui convient à ton entourage.
Tu vas redevenir la Marie heureuse que tu étais.
Tu l'es déjà.
Ça n'a pas échappé à ceux qui te voulaient du bien.
Je les ai tous salués, un à un. Lui en dernier, évidemment.
Il était devant son écran, occupé à retoucher.
La première chose que j'ai vu de lui était sa nuque dégagée. Je n'aime pas quand il a les cheveux si courts.
J'ai passé ma main dans ses cheveux en murmurant Il a les cheveux bien courts celui-là.
Il s'est retourné vers moi, plus mal à l'aise que souriant, et m'a dit bonjour. J'ai répondu deux vagues bises dont je ne me souviens pas, et je suis retournée auprès de Nino.
-Tu poserais pas pour le quotidien ? J'ai un parc à prendre en photo et avec le temps qu'il fait il n'y aura pas un rat...
-Tu joues au photographe maintenant ?
-J'donne un coup de main. Arno a trop de boulot.
-Ok. On y va ?
Dehors il pleuvait des cordes.
Nino est sorti en t-shirt avec un parapluie noir.
On a rigolé tout le long du chemin, jusqu'à ce qu'on arrive devant le panneau cloué à l'entrée du parc.
Ouvert uniquement le samedi et le dimanche.
J'ai vu Nino blémir.
On a décidé d'escalader.
Après assez peu de difficultés, nous nous sommes retrouvés dans le parc pluvieux.
En attendant que la pluie cesse un peu, nous nous sommes assis sur un banc.
Je n'avais jamais vraiment discuté sérieusement avec Nino. Il est une des rares personnes avec qui j'arrive à entretenir un délire, à rire longtemps.
Mais assez naturellement, nous en sommes venus à parler d'Arno.
J'ai senti qu'il comprenait, en dessous de mes mots, derrière mes yeux humides et mes mains vaguement tremblantes, que j'avais saisi toute la complexité de la personnalité d'Arno, son paradoxe et son malheur, et que si je l'avais saisie, c'est que je m'y étais abîmée en voulant le sauver.
Après avoir pris une centaine de photos, dans divers endroits du parc, nous sommes retournés devant la double grille, pour la sauter.
Nino a voulu commencer, pour tester. Au début il s'agrippait à moi mais ne trouvait pas d'appui de l'autre côté. Alors il a décidé de sauter par dessus la première grille.
Quand il s'est relevé de sa chute, son front était en sang. J'ai eu peur sur le coup, mais j'ai vu qu'il allait bien, qu'il tenait debout.
Il m'a aidé à passer la grille, puis nous avons sauté la deuxième, beaucoup moins haute.
En repartant, nous nous tordions de rire pour je ne sais quelle raison. Notre état délirant s'est brutalement cassé la gueule lorsque nous sommes entrés dans la salle où travaillaient les autres.
J'ai vu Arno devenir tout blanc, et j'ai entendu les autres pousser des petits gémissements de suprises.
J'ai entraîné Nino aux toilettes, pour lui rincer le front et voir si sa blessure était profonde.
Arno nous y a rejoint.
Avec Nino on avait recommencé à rire et je noyais alors la douleur de mon coeur dans des éclats de voix artificiels.
Je me sentais soudain vivre au ralenti, mes paupières se fermaient plus doucement, mes cils battaient, ingénus. Mes yeux se plongeaient parfois dans ceux d'Arno, dont la couleur me tord encore les entrailles.
J'avais envie de le serrer contre moi, d'embrasser sa nuque trop dégagée et le derrière de son lobe d'oreille, de caresser sa lèvre supérieure du bout de mes doigts, de respirer l'odeur de son cou...
Mais je continuais à rire, en le regardant furtivement et profondément. Et il me regardait aussi, et nos yeux se cachaient tout ce qu'on crève de se dire.
Même nos yeux se mentaient. Mais ils mentaient vraiment mal.
Vendredi soir, tard, je me suis dessinée, embêtée, les larmes aux yeux, devant mon ordi, en train de regarder ses photos avec le commentaire Roh il est doué le salaud... De plus en plus belles ses photos...
Et puis dans un mail, j'ai joint mon dessin à ces quelques mots :
Voilà à peu près ma tête devant toutes tes photos.
Je me souviens que tu avais écrit sur cette page word que tu as effacé par la suite : "c'est trop tôt, je pense...".
T'avais sûrement raison. Comme d'habitude, avec ma moue de petite fille capricieuse, j'ai fait le TGV.
Et c'est sûrement encore trop tôt. Pas une bonne idée, tout de suite, ces retrouvailles. J'suis encore trop chavirée.
Peut-être à la rentrée. Tes projets sont toujours les mêmes ?
J'imagine que la période que tu vis actuellement n'est pas facile, sur tous les points.
Je pense à toi, bon courage pour la fin.
Je t'aime fort, bello. Et même si tu ne veux ni l'entendre ni le lire, ça ne pourra pas leur faire de mal, au fond, à tes jolies petites oreilles.
Est-ce que j'y crois encore ? Est-ce que je n'y crois plus ? Je me sens effectivement toujours l'âme de super woman, je pense toujours pouvoir les sauver. Va encore falloir me faire à l'idée que c'est impossible...
Mais comme c'est douloureux de se résoudre à foutre tant d'amour à la poubelle, tant de rêves, tant de mots qui lui sont destinés... Pire encore que de n'être pas aimée.
Je l'aime tellement cet imbécile.
Je mène une vie calme. Je ne fais pas grand chose de mes journées et c'est plus plaisant que culpabilisant. Mes connaissances se font de plus en plus silencieuses, décevantes, sauf Éric dont chaque mot me réjouit un peu plus chaque jour.
Le bonheur naît le soir, à son premier ou deuxième mail, et ne s'évanouit que dans l'après-midi du lendemain. Mais il renaît quelques heures plus tard, quand ses mots reviennent, à nouveau, dans ma boîte électronique.
Son affection me rend plus tendre avec moi-même. Je lâche un peu de leste, j'arrête d'être si sévère pour m'accorder de la bienveillance.
J'ai téléphoné à Sylvaine l'autre soir. Elle venait de m'écrire que son mari voulait se jeter sous un train. Elle n'allait pas bien la pauvre, et pourtant je l'entendais sourire. Si forte et si fragile. La plus belle des femmes.
Mon nuage a duré deux jours.
Mon drap sentait la lessive qu'elle utilise et qui constitue le seul parfum que je lui connais.
J'ai fait des rêves d'une douceur inespérée.
Je l'ai cherchée partout, elle était dans mon coeur.
Tout à l'heure en sortant du cinéma, Jérôme était à une table. En face de lui, une longue femme aux cheveux marron glacé.
Le visage de Jérôme semblait défait.
Il la regardait d'un air à la fois triste et d'une dureté sans précédent.
Mon coeur s'est fendu, j'aurais voulu l'attraper par la main et l'enlever de cette situation douloureuse.
"L'homme que j'aimais le plus au monde après mon père."
Déjà, à neuf ans, j'avais envie de le sauver.
Je le voyais dévorer Fanny d'un oeil gourmand. Il l'entraînait pendant des heures, ils semblaient danser tous les deux, un pas de deux avec fleurets.
Un pointe de jalousie piquait mon coeur et je me disais que c'était moi, moi qui le sauverais.
Faudrait l'enlever de mon vocabulaire, ce mot.
Mais j'y peux rien, j'ai toujours rêvé d'être fantômette, la justicière masquée.
Il me manque à chaque seconde. Je ne lui en veux plus. Je me plais simplement à le traiter de tous les noms lorsque je parle de lui, mais c’est plus affectueux que rancunier. Les injures ont simplement remplacé les mots doux, mais elles sont encore plus câlines que l’étaient les tendresses que je murmurais à son intention.
J’y crois encore. Voilà.
Je préfère avoir quelqu’un à aimer.
La douloureuse période de la rancune et de l’électrochoc est passée, je crois.
Maintenant je peux l’aimer tout bas. Toute seule. Comme d’habitude.
Je lui ai écrit. Je sais que vous allez m’engueuler mais je fais les choses comme je les sens. Là je le sentais. Et pour une fois, ce n’était pas parce que je l’avais rêvé la nuit précédente.
Ça m’embête de te dire ça mais… Tu me manques, bello.
Et puis j’ai acheté une robe fleurie, j’ai repensé à ses mots, à son regard sur moi, au soleil de ce 8 mai, j’ai oublié notre nuit, oublié ses caresses mais pas ses baisers, j’ai cherché un nouveau maillot de bain en vain, j’ai acheté des pizzas pour la soirée, j’ai tenté de gommer ce poids non-identifié qu’il y avait dans ma poitrine, j’ai dormi une heure, j’ai reçu Guillaume, Jess et Mélanie, on a pas mal bu, pas mal mangé, pas mal rigolé aussi.
Et même si c’était bien, ça me semblait superficiel. Je me sentais faire des efforts.
Mélanie est restée dormir et puis j’ai reçu la réponse d’Arno.
Je ne devrais pas mais je vais sur ton blog tlj !! Pour te suivre un peu ..
J’ai presque immédiatement répondu. Je n’aurais peut-être pas dû. J’aurais dû laisser mijoter le tout dans ma tête jusqu’au lendemain matin. Mais je n’ai pas résisté. Je me suis un peu emportée.
Peu importe.
J’en crève de le revoir et puis je me demande si je vais souffrir. J’en crève aussi d’écouter la musique qu’il a laissé dans mon ordinateur. Je repousse toujours, en me disant que j’écouterai ça un jour particulier. Ou plutôt un soir. Un soir duquel je ne reviendrai pas.
J’y crois encore. C’est ça le problème.
Ça ne peut pas terminer comme ça. Ce n’est pas possible.
C’est lui l’homme que j’aime. Celui avec qui j’accepte aussi de me déchirer s’il le faut, car s’aimer sans se déchirer si on veut ressembler à un couple, ça me paraît impossible.
Tout seul on souffre tellement qu’on ne souffre pas.
C’est lui celui pour lequel je veux me battre. Et quitte à ce que ce soit moi la forte. Quitte à ce que ce soit moi la protectrice. Quitte à ce que je sois son éponge et qu’il me refile ses angoisses.
Oh pauvre petit con, oh mon amour tant haï, ma violente tendresse, mon lugubre soleil, mon si beau et si doux cauchemar, mon volcan de glace, mon fleuve tant agité…
Arno.
Je t’aime encore si fort, si profondément.
Et si mal…
Les deux jours qui ont précédé ont été étranges et heureux. Complètement hors du temps.
Éric (Monsieur G) est venu me chercher le mardi soir, quelques heures après mon retour au Havre.
Il m’a emmené à la plage, au restaurant, on a discuté, on a ri, on a chanté, on s’est tu aussi.
Après le dîner, on est allé sur la plage. Le ciel était lourd et lumineux et tout d’un coup l’orage a éclaté. C’était magnifique, puissant, brûlant. La pluie a attendu quelques secondes avant de tomber. L’air est devenu délicieusement humide et tiède. Nous sommes montés dans la voiture et le déluge est tombé.
Nous sommes rentrés au Havre. Il y avait des images animées projetées sur l’hôtel de ville. Et de la musique. L’hôtel de ville était un instant transformé. Et c’était beau.
Le lendemain, il m’a emmenée déjeuner au restau japonais près de la plage. Je me suis délectée de sushis et j’ai eu l’impression de trouver ça bien plus délicieux encore que le jour où j’y suis allée avec Arno et les autres, le jour du gingembre confit.
Nous sommes allés voir la mer. Il ne faisait pas beau, il pleuvait à moitié, il fallait marcher presque une demi-heure pour l’atteindre, mais la plage était magnifique.
Nous nous sommes baignés, après quelques minutes de réflexion, et ne l’avons pas regretté. J’ai toujours aimé me baigner sous la pluie et c’était beau comme un rêve. C’était irréel d’ailleurs de nager avec lui dans cette eau si claire, entre deux falaises.
L’impression d’être seuls au monde. D’avoir le ciel et l’eau rien que pour nous.
Après avoir grelotté pendant quelques minutes, nous sommes allés nous réchauffer dans un café. Plus tard, Éric m’a emmené chez lui et nous avons regardé ensemble l’un de nos films cultes.
En rentrant vers minuit, j’allume mon ordi et la première chose que je lis est la libération d’Ingrid.
Je me mets à pleurer, toute seule devant mon écran. Mon sourire rayonne de larmes. Les mots d’Éric tournent dans ma tête. C’est la première fois qu’un homme me dit, à moi, des choses si belles. La première fois qu’un regard masculin se pose sur moi de manière si bienveillante et si douce. La première fois que ni mes silences, ni mes doigts de pied ne dérangent quelqu’un. La première fois que j’ai l’impression d’être comprise, acceptée, entièrement. Par un homme.
Et cette impression d’avoir vécu une semaine en deux jours. Cela me rappelle vaguement nos délires à Elle et moi, mais j’enfouis ça loin, je ne veux plus y penser.
J’ai l’impression que cela faisait une éternité que je n’avais plus trouvé de sens au mot bonheur.
Après forcément, tout me paraît fade.
Sauf ce beau week-end en famille.
On a fêté les 17 ans de mes cousins jumeaux. Presque tout le monde était là.
J’ai demandé à mon oncle s’il avait des nouvelles de Sylvaine.
-Je l’ai croisée tout à l’heure… Elle avait l’air d’aller bien. Son mari s’est excusé. Apparemment ça va mieux. Elle était là à la communion l’autre jour…
Je souris qu’elle aille mieux. Je grimace intérieurement de les avoir ratées, elle et sa robe bleue.
Dans la maison tout le monde s’affaire.
Embrassades longues et chaleureuses. Méridionnales même.
Concerts improvisés dans le salon ou sur la terrasse. Moune a apporté sa guitare 12 cordes et ça donne.
Les petits sont heureux de se retrouver et de courir à travers le jardin.
Je m’échappe avec ma cousine Lucy pour lui parler d’Elle, du Prince et d’Arno. En fait ça fait presque quatre ans qu’on ne s’est pas vraiment parlé. Elle avait été la première à déceler l’étrangeté de mes échanges avec Elle, la beauté de Ses mots caressants, la longueur significative de Ses lettres.
Lucy était près de moi durant ces vacances-là.
On s’est rappelé de nos fous-rires, de ces soirées de liberté à pédaler sur nos bicyclettes, et de ce bain, le plus beau de ma vie, à 20h un mardi soir, l’eau plus calme qu’un lac, le soleil roux et doux. On appelait cette petite crique « la baie d’Along ». C’était le paradis.
C’était mon dernier été d’insouciance.
Sylvaine me manque beaucoup. J’écoute Sheller et sa douceur m’enveloppe. Je retrouve la clarté de sa voix, ses dents blanches, ses lèvres fines et roses, son regard de cachemire, ce grain de beauté au dessus de la bouche. Je voudrais me perdre dans ses yeux. M’y plonger nue. Je sais que je m’y retrouverais.
Elle n’a pas répondu à mes derniers messages.
J’ai proposé à Arno qu’on essaye d’apprendre à se parler en direct. Je lui ai écrit que je n’étais vraiment pas sûre d’être capable d’amitié mais que je refusais qu’on devienne deux étrangers. Il a répondu qu’il était OK si je voulais. Je lui ai proposé un feu d’artifice, un soir. Il a dit qu’il prendrait des photos et que c’était trop brutal, trop glamour comme retrouvailles.
Je me suis extasiée à sentir mon cœur vivre. Tressauter de joie pour le premier message. S’emplir de la douleur d’un poignard pour le second.
C’est beau quand même. Fou qu’un organe se manifeste autant pour un simple message.
J’ai regretté presque aussitôt d’avoir cru que les braises humides pouvaient repartir. D’avoir cru que je saurais ne plus souffrir pour ses joues piquantes et son regard d’acier.
Je ne l’ai pas encore revu et je souffre déjà. Je ne veux pas y croire. Je suis têtue, bornée. Et amoureuse, le comble.
Regarder le soleil se coucher en respirant les volutes des Lucky Strike de Julie.
Je n'y peux rien mais la fumée de cigarette me séduit, m'enveloppe, me cajole, me câline.
Cela faisait une éternité que je n'avais pas été invitée chez une amie, à manger, à dormir.
À l'heure qu'il est, je devrais être au club d'escrime à faire la fête avec Claire et une bande inconnue.
Je n'ai pas osé. Peur panique d'être mal à l'aise toute la soirée au milieu de trop jeunes hommes moqueurs et alcoolisés. Terreur de me sentir délaissée, exclue comme je l'étais lorsque je suis revenue là-bas, avec mes béquilles, parce que je voulais les voir, assister au cours, encore un peu, même si je ne pouvais plus tirer. Être observatrice.
Je ne ferai jamais partie de leur délire.
L'important, ils l'ont vécu après mon départ.
J'ai trop peur de me sentir de trop. Cela me terrorise. Je ne veux pas m'imposer ce malaise alors...
Alors je fuis cette terreur, je fuis ce défi, et je reste chez moi devant mon écran, à dessiner ou à écrire des mails.
J'aurais voulu voir Jérôme mais je lui écrirai. J'ai déjà commencé une lettre. Une seconde lettre.
Peut-être qu'un jour on se retrouvera enfin tous les deux en tête à tête et je pourrai lui raconter. Tout.
Peut-être ne sera-t-il jamais celui que je voulais qu'il soit.
Peut-être que pour lui, je resterai à jamais cette ombre enfantine et silencieuse qu'il salue toujours avec un immense respect et une petite émotion au coin des yeux.
Sans qu'il en sache jamais plus.
Sans qu'il ne sache jamais ce qu'a été ma vie après lui.
Quand j'étais petite, je me disais que c'était l'homme que j'aimais le plus au monde après mon père. Je m'en souviens très bien car je l'avais écrit dans l'un de mes journaux intimes. Un journal qui s'adressait à Claire, du début à la fin, et que j'ai relu il y a peu.
Cette semaine, je me suis surprise à beaucoup rire. À rire de tout et de rien. À rire fort. À gorge déployée.
Papane disait que si on souriait longtemps, même en étant déprimé à l'origine, on finissait par attraper la bonne humeur.
C'est peut-être ce qui m'arrive.
Je ne suis pas enjouée mais presque.
Je suis gaie. Enfin je crois.
Je lutte contre les pensées qui viennent m'assombrir.
J'ai déjeuné avec Christine jeudi midi.
C'était un vrai bonheur.
En quittant sa twingo, la profonde sensation d'être ressourcée.
Je me sens mieux. Plus légère.
J'ai pu lui donner de mon amour, tout par les yeux et par mes mots maladroits.
J'ai enfin retrouvé, en moins de deux petites heures, tout ce qui m'avait tellement manqué.
Me gaver de ses mimiques, de ses mots, de ses réactions, de sa philosophie afin de devenir quelqu'un de bien. Comme elle.
Réapprendre à parler en l'écoutant s'exprimer.
Sentir mon coeur battre comme un fou.
Pouvoir parler de tout, comme je vous parle à vous, parce qu'elle a suivi tous les épisodes, parce qu'elle me lit et parce qu'elle a été là, stoïque, sublime, durant la pire période de toute ma vie.
Parce qu'elle est la seule qui me comprenne vraiment sur ce point.
La seule qui n'a jamais cessé de me soutenir. Quoi que je fasse.
Elle a vécu mon histoire avec moi. C'est aussi un peu devenu la sienne. J'aurais aimé qu'elle soit épargnée.
Quelqu'un qui n'a pas vécu ce genre d'histoire ne peut pas comprendre ta souffrance, ton traumatisme.
Je suis si bien auprès d'elle.
J'avais presque oublié.
Comme je les envie tous de pouvoir l'embrasser chaque jour.
Ils ont beau dire. Ils ne se rendent pas compte de leur chance.
Je lui ai parlé de mon année. Des rencontres. Des échanges. Des certitudes et des craintes. De ces attentions inattendues.
Elle a tout simplifié et cela m'a aidée.
Après la claque vient la caresse.
Je ne suis pas bien sûre d'être au bout de mes peines, mais ô comme j'aimerais que cet été voie arriver un nouveau cycle de ma vie. Une nouvelle, belle, période. Le temps du bonheur... Ou de la douceur. De la sérénité. De la simplicité.
Beaucoup de souvenirs me reviennent ces derniers temps.
Ma mère dit que c'est le deuil. Que c'est inévitable.
Des souvenirs d'enfance. Des souvenirs d'Elle. Beaucoup de souvenirs d'Elle.
Des détails que j'avais presque oublié.
Quand je repense qu'à 14 ans j'avais une double vie... J'ai le vertige.
J'ai cette chanson de Sheller, rengaine dramatique dans le fond et presque joyeuse dans la forme qui vient se coller dans ma gorge. Elle me fait trop penser à cette époque. À l'une des visions que j'en ai. Parce qu'il y en a d'autres. Parce que plus que l'exaltant et terrifiant goût de l'interdit, il y avait l'amour. Incommensurable.
Mais malheureusement, il reste aussi ce goût amer contre lequel je me bats.
J'avais des mensonges à garder
Des pièces et des bijoux
Des mots d'angoisses et des rendez-vous
Et pour le peu que j'm'en souvienne encore
J'traînais ma misère au dehors
Mais j'ai du soleil qui m'éclaire enfin la tête
Il fait un vent doux
J'ai les idées bleues à faire danser les planètes
Autour de mon cou
J'me dis qu'y a là quelque chose qui témoigne
Du peu qu'ça m'coûte pour tout c'que j'y gagne
Sans vous
Quand j'étais à vos genoux
Et ce vous qui me dérange tant.
Je voudrais ne plus jamais y penser.
Il faudra bien que quelqu'un vienne l'effacer, la tuer.
Quelqu'un devra un jour m'aider à tourner la page. Entamer la dernière phase.
Je me ronge encore les doigts jusqu'au sang. C'est de pire en pire. Il faut absolument que j'arrête.
En plus d'être dans l'incessant échec, je me suis aussi fichue dans ce processus étrange d'autodestruction. Mineur, heureusement, mais on peut appeler ça comme on voudra, ça me ferait presque penser à de la mutilation. Et ça m'en colle des frissons.
J'ai très très envie de tout changer.
D'ailleurs ce nouveau vert me plaît.
Je sais que vous allez encore vous moquer, dire que je change tout le temps, que c'est la énième fois en un an.
J'ai beaucoup, beaucoup de choses à écrire. Enfin c'est ce qu'il me semble.
J'ai beaucoup, beaucoup de rêves aussi.
J'ai très très très peur de me planter encore une fois.
Je tente de penser à Arnaud le moins souvent possible, même si je me laisse trop souvent surprendre par son parfum qui s'empare de mes narines n'importe quand. Je sais bien que c'est psychologique. Ensuite sa bouche rouge et son regard mi-velours mi-acier m'apparaissent et l'électrochoc revient. Pour quelques secondes. Je ferme les yeux et mon coeur troue ma cage thoracique. Je crève de l'appeler ou de lui écrire. Je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime. Pauvre con de photographe. Dis-moi où tu es, vite. C'est une question de vie ou de mort. Accorde-moi deux minutes. Deux minutes durant lesquelles tu oublies que tu ne m'aimes pas, que je ne te plais pas et que ça ne changera pas.
Oh non je ne m'en remets pas. Il n'aurait jamais dû, jamais. Oh je sais que c'est pour son avenir sentimental à lui qu'il faut s'inquiéter. Mais a-t-il une souffrance comme la mienne ? Non. Une pire. Comment peut-il continuer comme ça ? Est-ce de la cruauté, de la bêtise ? De l'ignorance ?
Je voudrais l'embrasser, lui dire que je l'aime puis lui foutre une claque monumentale.
Je voudrais n'avoir jamais à dire que je dois l'oublier.
Car c'est trop triste de devoir oublier quelqu'un qu'on aime tant.
De devoir effacer son amour.
Je voudrais tellement qu'il m'appelle. Je voudrais tellement qu'il m'écrive. Je voudrais tellement qu'il regrette. Qu'il se rende compte de sa connerie. Ou bien qu'il se rende compte qu'il n'aime pas les filles.
Je dois l'oublier.
Comme d'habitude j'ai dévisagé chaque personne qui attendait pour voir si ce n'était pas Arnaud.
Comme d'habitude je ne l'ai pas trouvé.
Comme d'habitude personne ne m'attend.
Les gares me font toujours un effet d'extrême concentration d'émotions. Je voudrais qu'elles soient le théâtre de comportements extrêmes. D'êtres extrêmement pressés. Extrêmement amoureux.
Vers 16h30 je suis allée attendre ma soeur à la sortie du collège.
Quand je l'ai enfin retrouvée, je me suis retournée, impassible, vers le lycée.
Il était là, dos à moi, à fumer son éternelle cigarette Winston.
J'ai été prise d'un sursaut de tendresse. J'ai supplié ma soeur de me laisser aller lui dire bonjour.
Elle m'a suivie.
Il a été plutôt gentil, plutôt souriant.
Mais j'ai eu de la peine à repenser à notre complicité d'il y a six mois, complètement désintégrée puisque nous sommes à nouveau comme deux étrangers l'un pour l'autre.
C'est sans doute ça le plus dur.
Plus que de se résigner à abandonner un rêve.
J'ai au moins eu la confirmation que mon amour pour lui s'était éteint.
J'avais rêvé de lui la veille, il m'invitait à dîner avec ses enfants. Notre complicité était intacte. Au réveil cela m'avait perturbée. Encore une fois.
Les rêves m'emportent toujours sur des terrains glissants.
Ils m'ont toujours fait me planter, foncer droit dans le mur.
Mais j'ai du mal à leur résister.
Hier soir j'ai fait un tour en ville avec Julie.
Il avait fait gris toute la journée mais la soirée était orange et chaude.
Je n'ai entendu aucun groupe exceptionnel, je n'ai pas été particulièrement émue par une mélodie. Des bribes parfois. Sensations d'autrefois.
J'ai vaguement cherché Arnaud mais n'ai croisé personne à part trois filles de ma classe.
Ça m'a fait rire.
Ce sont elles ma vie maintenant. Et bien qu'aucune d'entre elles ne soit originaire de Rouen, ce sont les seules personnes que je croise le soir où les rues sont surpeuplées. Étrange.
J'ai emmené Julie aux petites cuillères.
C'était agréable de venir là-bas de nuit.
En allant payer, le patron m'a tendu une craie pour écrire un mot sur les autocollants-ardoises qui sont collés sur leurs murs.
Au salon de thé le plus délicieux du monde <3
C'est comme mon QG, là où ma langue se délie, là où j'emmène les personnes que j'aime et qui m'aiment, les personnes à qui j'ai envie de dire des choses futiles et belles, rares et profondes.
Je suis un peu déçue cet après-midi, de réaliser une fois de plus que ces personnes se font rares, que je ne crois vraiment plus en l'amitié.
Je crois que seule Aurélie donne du sens à ce mot que je bannis.
Mes parents désespèrent de me voir rester seule chaque week-end, de me voir toujours rester seule.
Le dimanche appelle à l'intimité, au temps long, disproportionné, à un ennui savoureux que l'on ne partage pas avec n'importe qui.
Je ne suis l'intimité de personne et ça me fait un instant frissonner. Pourtant le temps est lourd et mes cheveux se collent à mon front.
J'écoute Calogero en rêvant de vent dans mes cheveux, de vent sur ma nuque, de musique dans une voiture lancée à fond sur l'autoroute, de bleu ou de vert à perte de vue.
J'ai envie de nature, envie d'envoyer valser tous ces câbles qui maintiennent tant bien que mal ma vie sociale.
Je rêve de longues soirées dehors, quand la chaleur s'efface un peu, quand la fraîcheur du soir tombe subtilement, quand tout devient plus beau, plus bleu, quand les yeux brillent.
Je rêve d'un électrochoc dans mon coeur. Le même que celui que j'ai lorsque je pense à Arnaud. Mais qu'il soit réciproque cette fois.
Je m'inquiète un peu de savoir comment je vais supporter mes parents et ma soeur tous les jours.
De savoir aussi comment je vais vivre sans avoir personne à poursuivre, personne à qui m'accrocher.
Il me faut de l'espoir pour vivre. De l'espoir d'amour. Car de l'espoir pour le reste j'en ai.
Mais c'est l'amour mon essence, mon énergie.
Sans l'amour, le moteur ne démarre pas.
Il me faut une nouvelle raison de vivre.
Ma notion du temps est complètement perturbée.
Je regarde un nuage passer. Il est très long, très étiré. Il se hisse lentement sur le ciel mauve. Il est encore loin de la cheminée de la maison d'en face.
Mon regard se perd, mes pensées glissent dans le passé, j'ai l'impression d'avoir perdu conscience rien qu'une ou deux secondes mais lorsque mes yeux refont le point, la moitié du nuage est déjà passée de l'autre côté de la cheminée.
Je repensais à Elle. Je repensais à la première fois où on s'est revu sans en avoir le droit.
C'était dans un ascenseur. On fredonnait En apesanteur en se serrant dans les bras, fébrilement, priant pour que le temps s'arrête et pour que le voyage continue pour toujours.
Je repensais à cette sensation de bonheur. Car c'était ça mon bonheur. Aimer et être aimée. Rien de plus. Malgré l'horreur qui pesait sur nous.
Pendant cet instant j'ai ressenti une effluve de bonheur. Je me suis rappelé ce que ça faisait. C'est ça qu'il me faut. Je ne pourrai pas être heureuse autrement.
Et puis ce poignard dans mon coeur. Cet acide pire que tout. Pire que n'importe quelle peine de coeur.
Je ne suis pas encore guérie. Faut encore que je me batte pour exister indépendemment de tout ça.
Mais comme je l'écrivais il y a des mois de cela, la seule solution que je vois pour achever ma guérison c'est de vivre une autre histoire. Cela reste ma conviction.
Voilà aussi pourquoi la solitude me pèse tellement.
Si encore je ne souffrais que du mal du 14 février, du mal du célibataire pleurnicheur.
Mais voilà mon problème, je souffre de celui du 13 et du 14.
Aujourd'hui ma soeur est allée à la communion de ma cousine dans les Yvelines, dans la petite ville où vit Sylvaine.
Je l'enviais un peu de voir ma famille, mon oncle chéri, d'avoir un dimanche festif. Mais je n'avais pas pensé qu'elle aurait la chance d'être si proche de Sylvaine.
Et sur un ton cruellement léger, elle m'a assassinée en rentrant tout à l'heure :
-Ah au fait Marie, j'ai cru voir Sylvaine. Enfin c'est p't'être pas sûr. Elle va peut-être pas à la messe le dimanche. Elle avait une longue robe bleue. Elle est bien très très grande, hein, c'est ça ?
Je me suis sentie défaillir et me suis étouffée en répondant.
-Oui... elle est immense. Et très croyante aussi.
Je reste pensive pendant des heures.
Je fredonne mille fois le générique de La Demoiselle d'Avignon, ce vieux feuilleton qui me fait rêver.
Mes rêves me reviennent facilement le matin. Je vais de nouveau pouvoir les noter dans mon petit carnet.
Je vois Christine jeudi. Enfin.
Je voudrais perdre un peu la tête.
Noyer mes pensées dans des ondes positives.
Mais c'est difficile, madre mia.
Ces dernières semaines m'ont un peu empêchée de réfléchir.
Et là la solitude me crève de nouveau les yeux.
Merde.
Merde merde merde.