Et au moment où on aurait le plus besoin d'eux, ils s'en vont.
Ils se mettent aux abonnés absents.
Ils ne donnent plus de nouvelles.

J'ai écrit à Maman hier.
Mais pas de réponse.
J'ai écrit des tas de mails au Prince.
Mais rien.
Deux jours sans nouvelles de lui.
Ça paraît rien mais pour moi c'est déjà beaucoup trop.
Les gens se déconnectent quand tu aurais besoin de leur parler un peu.

J'ai senti le sentiment d'angoisse évoluer toute la journée.
Là c'est encore supportable, mais j'ai peur.
Je sens un noeud se faire dans ma gorge.
Je ses les larmes, comme dans des starting blocks, juste derrière mes yeux.
Elles attendent le signal.
Elles attendent qu'enfin je me laisse aller.

Ce matin j'avais mis mon réveil à 6h30 comme d'habitude.
Mais lorsqu'il a sonné, j'ai éteint mon portable, croyant qu'il me faisait une blague.
Heureusement je me suis réveillée une demi-heure après.
Et j'ai eu une autre demi-heure pour me préparer.

Mais j'ai peur, tellement peur de ne plus pouvoir me lever.
J'ai peur de l'après coup.
Une fois que ce jour attendu avec à la fois tant d'inquiétude et tant d'empressement depuis deux ans et demi laissera place à une nouvelle nuit, j'ai peur de craquer.
Peur que tout ce que j'ai emmagasiné depuis tout ce temps ressorte, d'une façon ou d'une autre.
Et me rende complètement folle.

Si Elle va en prison, comment je vais m'en sortir ?
Comment ?
Je vais aller voir un psy.
Et cette fois ce ne sera pas pour une petite dizaine de séances.

Avant j'avais Maman.
Maintenant je ne l'ai plus, ou alors si, mais tellement peu.

Est-ce que je vais craquer ?
Je ne peux pas prévoir ma réaction, je n'arrive même pas à imaginer ce que sera jeudi.

La moitié de la classe a décidé de ne pas aller en cours d'espagnol jeudi.
Comme nous n'avons qu'une heure de cours dans la journée.

Moi j'irai.
Parce que l'espagnol est mon cours préféré, et aussi parce que je regrette de n'avoir pas un emploi du temps surchargé ce jour là.

Quand je vais rentrer, je vais rester ici, je vais m'enfermer.
Si encore il faisait beau, j'irais bien à la plage.

Si ma mère ne vérifiait pas tous les jours ce que j'ai dépensé sur mon compte, je prendrais le train et j'irais l'attendre à la fin de son cours.
On se regarderait et puis on se tairait.
On écouterait le silence de l'autre.
Et ce serait bien.

Il y aurait tous les regards lourds des autres sur moi.
Sur nous ?
Mais avec sa simplicité, il ne s'en rendrait même pas compte.
Ou bien il ferait semblant.
Pour ne pas me compliquer la vie.

Je n'ai pas le courage de lire ELLE.
Pas le courage de travailler.
Pas le courage de prendre en charge tout ce que je dois faire pour les semaines suivantes.

À la rentrée, Monsieur G nous avait dit que si on avait un problème, il fallait en parler, prévenir l'équipe enseignante.
J'hésite à lui envoyer un mail.
À lui dire que je ne vais pas aller bien, que je ne sais pas combien de temps ça va durer.
Et puis en même temps j'en ai marre d'être celle qui ne va pas bien.
Celle qui vit des trucs durs.

J'ai dit à Mélanie et à Lucie que cette semaine allait être douloureuse pour moi, et que si mes réactions étaient bizarres, ça n'était pas contre elles.
Elles se sont un peu moquées de moi.
Enfin pas Lucie, parce que je crois que Lucie m'adore.
Mais Mélanie n'a pas compris.

Mais peut-elle comprendre à quel point ce que je vis est compliqué ?
Chacun ses drames, à son échelle.
Mais est-ce que tout le monde est embarqué dans une histoire si difficile ?
Pas dans le sens qu'elle me fait plus souffrir que les autres parce que je sais pertinemment qu'on est tous en souffrance. Mais dans le sens que pour la partager avec les autres, pour l'expulser, il faut des efforts terribles ?

La seule personne à qui j'en ai parlé dans l'IUT, c'est Charlotte.
Charlotte a 26 ans, deux enfants et un mari alcoolique.
La seule chose que je n'ai pas osé lui dire, c'est que la personne contre qui mes parents ont porté plainte est une femme.

Je ne veux pas qu'ils sachent.
Je ne veux pas que leur regard change.

Demain mon réveil ne me fera pas de blague.
Et Garfu ne se réveillera pas pour vérifier si je me suis bien levée.
Il faudra que je me lève, et que j'affronte la journée.

Maintenant il faut que je dorme.

Comment dit-on bonjour
Je ne sais plus
Le parfum des beaux jours
Je le sens plus
Comment fait-on l'amour
Si j'avais su
J'ai tout oublié quand tu m'as oublié
Les mots doux de velours
Je n'écris plus
Et le sens de l'humour
Je l'ai perdu
Comment faire l'amour
Si j'avais su
J'ai tout oublié quand tu m'as oublié

Marc Lavoine, J'ai tout oublié.