Sornettes.

Me rejoignera-t-il un jour ?

Soudain je ne sais plus bien en quoi je crois.
Si ce n'est en mes rêves.

Hier soir je marchais dans la rue humide, tapissée de feuilles mordorées.
Il me disait qu'il me rappelait ce matin pour me dire si oui ou non on mangeait ensemble ce midi.

Ce matin en allant jusqu'au laboratoire d'analyses, je sens mon portable vibrer dans ma poche.
Je m'attendais à ce qu'il m'appelle plus tard. Il est 9h45. C'est mauvais signe.
Je profite cependant de la petite douceur qui s'empare de mon oreille alors qu'il me parle.
Je me laisse envelopper de la chaleur de sa voix que j'aime tant.

Ses parents l'invitent à manger ce midi.
Sûrement pour son anniversaire.

Il me dit Peut-être demain.
Je réponds un Oui... mélancolique, mais je suis pas trop triste. Le fait d'entendre sa voix semble m'illuminer de l'intérieur et constitue un barrage à la dépression.
Il me dit Bisous, passe une bonne journée.
Je réponds Oui, toi aussi... Et bon anniversaire.

Je me voyais tellement poser mes lèvres sur sa joue chaude et piquante, en lui chuchotant Joyeux Anniversaire.

En revenant vers la maison, je réalise brusquement que demain je me fais arracher mes deux dents de sagesse à 14h.
Si on doit manger ensemble, cela devra se faire vite.
Ça m'énerve.

Quand je rentre je suis révoltée.

Ma mère m'appelle tous les jours pour me dire qu'elle l'a croisé.
Ma soeur me rapporte au mot près les phrases qu'ils ont échangées.
Et il me dit qu'il aperçu Garfu au centre commercial.
Pourquoi ?
Pourquoi moi qui suis la seule à qui il manque, la seule qui l'aime avec une telle sincérité et un tel acharnement, pourquoi est-ce que je ne le croise jamais ? Ni ne le vois ?

Cela me rend folle.
Le pauvre ne sait pas que le fait que je le voie ou non dépend entièrement de mon bonheur.
Et mon coeur n'a pas choisi la facilité.
Ce n'est rien de le dire.

Je laisse les larmes couler sous la douche, se noyant dans l'eau qui se mêle à la mousse du shampoing.

Je me replonge dans le dernier tome d'Harry Potter et oublie mes rancoeurs en prenant celles de ce frère au front zébré.

Il va me manquer. Il a grandi avec moi. Son malheur se termine en même temps que le mien.

Tout était bien.

Mais est-ce que tout est bien aussi pour moi ?
Comme j'aimerais n'avoir qu'à tourner une page et me retrouver, comme lui, dix-neuf ans après mes dix-sept ans.
Vous allez tous hurler, me dire de prendre mon temps.
Que plus tard je regretterai ma jeunesse.
Mais mon âge est mon pire défaut.
Il m'emprisonne. Me menotte.
Il me rend malheureuse.
Serais-je moins seule si j'étais plus vieille ?
Je n'ai pas envie d'y penser, puisque de toutes façons, je ne peux me projeter ainsi dans le temps.

Je ne me souvenais plus à quel point je pouvais être passionnée par la lecture d'un roman.
J'ai dévoré ce dernier tome à une vitesse que je ne soupçonnais pas.
Je n'ai pas lu un roman depuis le mois d'août, et surtout pas un roman qui fait plus de 300 pages.
Pourtant j'aime lire.
Mais depuis quelques temps, je préfère écrire. Ou dormir.

Hier, je marchais dans la rue quand j'ai cru La voir.
Mon coeur a fait un bond qui a troué ma cage thoracique et tout le sang qui était dans mon visage l'a quitté.
Mais ce n'était pas Elle.

Cette blessure imperceptible et indescriptible ne s'en ira pas de sitôt.
Sauf si je me décide à mettre des mots dessus.
Mais pour l'instant je ne suis pas prête.
Dès que j'essaye de la regarder en face, mes pensées se bloquent et ne parviennent plus à se former.

J'ai du Droit et de l'Espagnol à apprendre, mais je repousse ces deux corvées de la même façon que le faisait l'élève que tous croyaient modèle, durant les années précédentes.

Je suis en pyjama.
Je bois des tasses de thé et perd mon regard dans les profondeurs des feuilles qui roussissent de plus en plus.
Je me sens orpheline maintenant que l'histoire d'Harry est fini.
Quand j'ouvrais le roman, c'était comme si son monde entier s'ouvrait à moi.
Comme si ma petite chambre obscure n'était plus.

Harry ou le Prince ?
J'aurais dû choisir.
Garder Harry pour les jours qu'il passerait avec ses enfants.

Maintenant il ne me reste plus que demain.
Et quand le soleil se couchera, je pourrai tirer un trait sur cette joie éventuelle de le voir apparaître, à quelques mètres de moi, avec son air si différent. Ce petit quelque chose qui fait mon coeur battre un peu plus fort.
Je n'aurai qu'à attendre la prochaine occasion.

Attendre.
Puisque tel est mon destin.