Quand je suis passée, ce matin, à l'endroit où j'avais enfin osé faire ce dont je rêvais depuis des mois, je me suis décidée à trouver "juste" beau ce qu'il s'était passé entre nous.
Instant magique de complicité, de tendresse inespérée, d'intense compréhension et de charmante incompréhension.

Et puis j'ai continué mon chemin.

Tout ce que je voulais lui dire de plus beau, je lui ai déjà dit ou déjà écrit.
J'ai écrit "je t'aime" sur le mur en face du lycée, je lui ai dit que je ne lui ferais jamais de mal, je lui ai écrit que je ne serais jamais son ennemie, je lui ai dit que son sourire était renversant, que c'était le plus beau du monde.

Peut-être a-t-il oublié mes mots, du moins en partie. Mais je n'en crois rien.
Les mots doux ne s'oublient pas. Surtout quand ils sont murmurés à l'oreille de quelqu'un que la vie a malmené.

Qu'il en veuille ou pas, il a entendu mon amour. C'est peut-être d'ailleurs la seule chose qui compte.

Mais je suis fière de ce parcours, même si j'aurais préféré qu'il termine autrement qu'en une simple voie sans issue.

Souvent je voudrais qu'il lise ce que j'écris ici, et puis après je me dis que ce serait trop dur, qu'il se sentirait coupable de me lire pleine d'espoir devant des mots à lui qu'il ne pensait pas si tendres, ou bien désespérée face à ses silences.

Je ne sais plus qui dit que "ce que disent ou pensent les autres de moi ne me concerne pas".
Cependant, je pense que c'est en partie faux, surtout s'il s'agit d'amour.
Mon amour ne le concernerait donc pas ?
Je pense que c'est faux.
C'est peut-être infiniment peu. Il n'y est peut-être pour rien. Mais ça le concerne.
On vient sur Terre pour vivre une vie, souvent ponctuée de merde, souvent pleine de malheurs (je ne suis pas pessimiste hein mais je sais bien que la vie n'est pas rose, c'est tout), alors si on n'assume même pas le fait d'être aimé par quelqu'un... Que le sentiment soit réciproque ou qu'il ne le soit pas... Autant se tirer une balle direct. Ou tuer l'autre.

Je ne pense pas que pendant tous ces mois où je lui ai clairement fait comprendre à quel point il était important pour moi, il ait été indifférent à mon amour.

Je me souviens d'un jour, sur Skype, où il m'a dit "Je suis vraiment flatté de la confiance que tu me donnes, ça fait tellement de bien de savoir qu'on est important pour quelqu'un".
Je me souviens de la façon avec laquelle il avait insisté sur tellement, avec sa voix que j'aime tant. Il représente tellement tous les hommes que j'aime. Il me plaît tellement.
Ce jour-là c'était le 7 octobre.
La veille du concert de The Do et d'I'm From Barcelona.

J'étais heureuse.

Quand je suis grimpée dans le bus vers 17h, je me suis demandé si j'allais laisser faire le destin ou si j'allais lui donner un coup de pouce.
Je n'avais pas spécialement envie de le voir, enfin si. Enfin je ne savais pas trop.
Je crois que ce que je voulais surtout, c'était ne pas terminer comme vendredi dernier, dans un silence pesant, dans un non-dit. Même si le non-dit restait, je voulais au moins terminer sur une note positive.

Alors je me suis pointée devant le lycée. Cinq minutes avant la sonnerie.
J'ai vu des gens que je connaissais mais j'ai voulu me cacher. Je ne voulais pas les voir.

Anaïs est venue à ma rencontre. J'étais rassurée que ce soit elle. Comme si elle me protégeait.
Elle a dû partir.

Puis c'est Chiquito qui est arrivé. Je ne m'attendais pas à le voir. Je me suis sentie un peu submergée par les émotions.
On s'est serré dans les bras.
J'adore notre amitié.
Très ponctuelle because of the distance, mais intense quand on se voit.
J'adore l'histoire de notre amitié.
Une vraie victoire.

Il a lu dans mes yeux que je venais le voir.
Il a semblé comprendre mon angoisse. À demi-mot.
Il m'a énervé à répéter des rumeurs à propos de Denis. Des rumeurs complètement fausses.
-Il a été viré. Complètement oublié maintenant. Y'en a un nouveau. Viré j'te dis.
-Mais non pauv' couillon. Il fait une dépression. Une dépression immense. Il a perdu trente kilos en trois mois. Bouffé de l'intérieur. Noyé. Il pèse moins que moi. Denis putain. Denis notre brute épaisse. Denis... Je vais le voir demain.

Et puis mon beau ténébreux est arrivé au loin, clope au bec comme toujours.
-Putainlevoilà...

J'ai cru qu'il ne me verrait pas, et puis son regard s'est posé sur moi.
J'ai vu qu'il hésitait, j'ai compris qu'il ne savait pas trop ce qu'il devait faire.
Qu'il se demandait comment je serais aujourd'hui. Distante, enamourée, normale ?

-Je suis venue pour te faire un bisou.
-C'est vrai ? Et là il s'est mis à sourire. Y'a soudain eu du soleil. Putain mais quel sourire ! C'est gentil...

On a marché un peu. Il marchait tellement vite que je devais pratiquement courir pour réussir à le suivre.
-J'dois aller chercher mes enfants. Enfin plutôt mon fils qui doit m'attendre avec ma mère.
-Ok.
-...
-Mon premier article paraît mercredi...
-Sur quoi ?
-Sur un rond-point qu'a été créé dans le quartier.
-J'vois pas pourquoi on construit des conneries pareilles.
-...
-Et tu dis quoi dans c't'article ?
-Qu'il a été construit pour prévoir la circulation des bus d'ici quelques mois, quand la médiathèque aura été créée.
-J'vois pas le rapport. Ça va les ralentir les bus.
Mais quelle tête de con.

-Ho, c'est pas d'ma faute à moi !
-Je sais...

Gros silence pendant deux minutes.
Et puis il se radoucit un peu.

-Mais sinon ça se passe bien le stage ?
-Oui oui, super...
-Tu tournes là ?
-Ouais.
-Bon bah moi j'tourne ici.
-Ok.
-Bon alors bon week-end, et puis bon courage !
-Bah toi bonnes vacances, amuse-toi bien...
-On va aller voir Rambo. Et puis d'autres trucs qu'ont l'air marrants. Y'a Benjamin Gates qui sort bientôt...
-Hmm.

Là il va me demander si je connais, avec cette voix douce que j'adore, qui me fait complètement craquer.

-Tu connaais ?
-Euh non...

En fait ça doit juste être un tic. Pas forcément pour me retenir. Il adore commencer à parler quand on vient de se dire aurevoir.

Il finit par vraiment devoir y aller. Il me fait un dernier sourire. J'essaye de lui en faire un aussi.
Je pars. Je ne me retourne pas.
Étrangement je garde la même cadence que lui. Géants pas. Hyper vite. J'en ai mal aux jambes.

Je reste la bouche ouverte et les yeux grands ouverts. Je ne sais pas trop quoi penser de cette rapide entrevue. Je crois que malgré tout c'était positif. Je l'ai ressenti comme ça, et c'est sûrement le principal.

J'ai adoré penser qu'il faisait sa tête de con, parce que je me suis mise à l'aimer encore plus au moment où j'ai pensé ça, je me suis dit que je l'aimais, à fond, complètement, entièrement, avec ses qualités et ses défauts. Cette idée m'a plue, même si ça ne sert à rien.

On peut rester un peu amis. Au moins maintenant l'amour non-dit ne me pèsera plus. Il le sait clairement que je l'aime.
Ça sera jamais pareil. Mais tant pis. C'était le risque à prendre.
Le risque de pouvoir peut-être un jour me réveiller à ses côtés, et l'empêcher de se lever à 5h30, en le gardant dans mes bras.

Mais faut plus que je pense à ça.

Je m'autorise quand même à y penser, parce que je n'ai rien d'autre à quoi rêver.

De toutes façons, l'idée que c'est avec lui que j'ai envie de passer mes jours est toujours là.
Et sûrement pour un bout de temps encore.

Peut-être que plus tard.
J'me dis que j'aimerais bien avoir une boule de cristal. Un TGV qui m'ammène dans le futur.
Savoir si on se retrouvera.
Avant je savais. Avant j'avais une raison de vivre. Avant je me disais que je vivais pour arriver au 14 mars 2008. Pour mes 18 ans. Pour vivre avec Elle. Mon avenir c'était Elle. Rien d'autre. Cette stabilité-là me rassurait. Mais maintenant c'est lui que j'aime. Et c'est d'une "stabilité" avec lui que je veux.

Argh. Pourquoi là-haut ils veulent pas réaliser mes rêves.