Juste avant de descendre de l'avion, on annonçait dans le haut-parleur que le terminal avait changé.
J'avais déjà un mauvais pressentiment depuis la veille, et je ne dis pas ça parce que maintenant, trois ans après, je savais qu'il était justifié. Ce genre de drame se sent. Même si on ne le prévoit pas si grave.
J'avais donc déjà un mauvais pressentiment, mais l'annonce d'un changement de dernière minute me terrifiait. ILS allaient être en colère.
Quand je suis sortie, je LES ai vus. IL semblait avoir un masque qui avait remplacé son visage. Une expression glaciale LUI collait à la peau. Je suis allée chercher mes bagages et je LES ai rejoints.
IL était très froid. Et semblait très mécontent de me revoir, après la semaine que je venais de passer à Madrid.
Je ne me posais pas trop de questions, j'étais ravie de mon séjour et heureuse de rentrer. Demain j'allais enfin La revoir. Demain ce serait la Saint-Valentin. Demain je pourrais enfin tirer un trait sur ce jour maudit de Saint-Valentin, et le transformer en jour comme les autres. J'avais des milliers de cadeaux pour Elle. Des choses que je Lui avais achetées, mais aussi des décisions que j'avais prises. Prendre plus d'initiatives. Et tenter de La déshabiller de cette pudeur qu'Elle avait envers moi. Enfin ce n'était pas vraiment de la pudeur. Elle n'osait juste pas me faire ce que je Lui faisais. Et cela me frustrait un peu.
Une nouvelle Marie. Ah comme j'avais hâte.
Je LEUR ai raconté mon voyage pendant quelques minutes, puis nous nous sommes tous tus.
J'ai posé ma tête contre la vitre glacée de la voiture, et j'ai commencé à rêver à nos retrouvailles du lendemain. Son corps palpitant caché sous Son peignoir. Mes mains qui La parcourent. Les mots d'amour que j'allais pouvoir Lui murmurer. Ceux que j'avais appris en espagnol. Tous ces petits cadeaux que je voulais Lui offrir.
Soudain SA voix a interrompu ma rêverie.
-Marie... Il faut qu'on te parle. On a découvert ce que tu nous caches depuis des mois. Ta liaison avec Hélène.
-Mais n'importe quoi, mais qu'est-ce que tu racontes...
-Ne continue pas à mentir. ON VA PORTER PLAINTE ET ELLE IRA EN PRISON.
J'ai hurlé, ma voix s'est brisée.
ILS essayaient de me poser des questions, déjà.
Je tapais mon poing contre la vitre trop épaisse. De plus en plus fort. J'aurais voulu la casser, j'aurais voulu déchirer ma peau. J'aurais voulu saigner au moins autant que ce que je pleurais.
Je voulais avoir mal. Avoir mal ailleurs qu'au coeur.
-Elle me rend heureuse !
-Comment peut-Elle te rendre heureuse si tu passes ton temps à nous mentir ?
-Je m'en fous de vous, je vous déteste ! Je ne vous dois rien !
-Tu nous dois tout, tu es notre chose. TU ES À NOUS.
Et puis j'ai vu le cliquet baissé.
Un rien de temps aurait suffi : relever le cliquet d'une main, détacher ma ceinture de l'autre, puis ouvrir rapidement la portière et me jeter sur l'autoroute.
J'imaginais déjà mes dents qui rayaient le bitume. Le bitume qui brisait mes dents. Ma peau se frotter à grande vitesse contre la route. Et se déchirer. Imaginer cette douleur soulageait un peu mon coeur.
Tout tournait dans ma tête.
Quelle était la solution ? Me jeter la tête la première, sur l'autoroute, à plus de 110 km/h ?
Soudain j'ai arrêté de penser à ma douleur. L'espace d'une demi-seconde.
Et Elle ? Elle allait perdre Son travail, aller en prison, pour au moins dix ans.
Si en plus Elle me perdait moi, que Lui resterait-il ?
J'ai décidé de ne pas ouvrir la portière.
J'ai commencé à m'arracher les cheveux.
Au début je n'y arrivais pas, puis j'ai réussi à en arracher, plusieurs touffes.
J'ai continué comme ça jusqu'à ce qu'on arrive chez mes grands-parents.
Je n'avais pas vu qu'il y avait un petit sac de voyage posé devant.
C'était pour moi.
ILS voulaient m'éloigner d'EUX pour quelques jours. Me refiler à mes grands-parents.
Je serais plus calme avec eux.
Lorsque je suis descendue de la voiture, je me suis étalée dans la terre molle et humide.
Il faisait nuit.
IL était déjà descendu de la voiture. IL pleurait. IL m'a attrapé et m'a prise dans SES bras.
-JE T'AIME MA PUCE. JE T'AIME...
Je me souviens avoir ressenti un immense amour mêlé à une immense haine envers LUI.
Je l'avais toujours aimé, et je venais de me mettre à le détester. À le haïr comme jamais je n'avais haï.
IL venait de devenir mon pire ennemi.
Celui qui venait de détruire deux vies de ses propres mains.
Elle ne savait pas encore.
Elle s'imaginait peut-être que mon avion avait du retard.
Mais comment allait-Elle réagir quand plusieurs jours après mon supposé retour, Elle n'aurait toujours pas de mes nouvelles ?
Quand je suis entrée dans la maison, ma soeur s'est exclamée :
-Ah ! La voilà la menteuse !
Je me suis installée sur le fauteuil vert, toujours avec mon manteau.
Mes premières larmes avaient séché dessus.
Je continuais à m'arracher les cheveux et à hurler.
Quand j'ai compris que ces phrases ne serviraient à rien, j'ai changé de disque.
Quelques heures après qu'ILS soient partis, je suis montée me coucher.
J'ai défait ma valise pour trouver les chaussettes qu'Elle m'avait offert avant de partir, Elle les avait parfumées avec son parfum.
Pendant le voyage, tout avait dû être remué et les chaussettes s'étaient trouvées collées contre une savonnette.
Plus de trace de son parfum. Plus d'effluves d'Habit rouge. Juste l'odeur entêtante du savon de Marseille.
J'ai ouvert mon cahier vert et j'ai écrit toute ma douleur.
C'était le début d'une longue série de carnets, à Son intention.
J'ai eu le bon geste. Écrire.
Je tenais depuis des années un journal intime, mais j'avais arrêté depuis que je La connaissais.
Ce que j'avais à dire était trop secret, et il aurait été trop dangereux de le garder consigné quelque part.
J'ai branché le poste et j'ai mis le CD que mon cousin de Madrid m'avait gravé le matin-même. Superflu d'Obispo.
J'ai écouté Lucie. Une, deux, dix, vingt, cinquante fois.
J'avais la certitude que la seule personne qui pouvait me sauver, c'était Christine.
Son prénom sonnait comme une formule magique dans ma bouche.
Maman.
Et si je ne pouvais pas la joindre ce soir-là, ni les jours qui suivraient, ce CD d'Obispo serait l'intermédiaire. La compensation.
Il m'aiderait à résister.
Cette nuit-là, lorsqu'entre deux cauchemars je me suis réveillée, je me suis levée avec la ferme intention de m'enfuir. Si je courrais vite, ils ne pourraient pas me rattraper. Il faisait nuit.
Cachée dans un fourré, personne ne me retrouverait.
Je pourrais La trouver avant qu'ils ne La préviennent. Je ferais du stop.
Et puis je crois que le chagrin m'a abattu, et la peur de Lui créer encore plus d'ennuis aussi.
Je me suis rendormie. Je rêvais de ne jamais me réveiller.
Je rêvais que tout cela ne soit qu'un cauchemar.
Ce soir, en vue de cet anniversaire quelque peu dramatique, je pensais fièrement ne rien ressentir. Je pensais que moi qui suis pourtant si sensible aux dates, je n'y verrais aucun changement. Aucun trémolo de plus ou de moins dans ma voix, ni dans mon humeur. Peut-être que si le Prince n'avait pas rejeté mon amour, cela aurait été le cas. J'aurais eu autre chose à penser. Ça aurait été une victoire sur tout le reste. La fin des fins. Quelqu'un d'autre. Une autre histoire.
Mais tout m'est revenu. Comme une claque dans la gueule.
J'ai été malade toute la soirée.
La douleur de ces blessures pas encore cicatrisées.
Et le manque de celle qui m'a sauvée.
Celle qui a su me montrer que la vie pouvait être belle.
Celle qui m'a donné le rose.
Celle qui a tout fait pour que je m'en sorte. Et qui a réussi.
Je m'en suis sortie, Maman poule. Grâce à toi.
Et ce soir si je pleure, c'est avant tout parce que tu me manques.
Commentaires :
Re:
En tout cas merci de ta présence. Merci de tes mots.
Mon 14 février 2005 était étonnamment beau.
J'étais effondrée, et mon oncle adoré et préféré est venu chez mes grands-parents.
Il partait pour faire un tournage.
Il m'a emmené avec lui. Je l'a aidé.
Nous n'avons que très peu parlé, mais dans ses silences, j'entendais sa présence, j'entendais que son Église ne tolérait pas ce qui s'était passé entre Elle et moi, mais qu'il lui en était égal pour une fois, et qu'il me croyait. Qu'il croyait en moi. Qu'il m'aimait aussi.
C'était dramatique et très beau.
Je m'en souviens avec exactitude.
Et j'ai presque oublié le reste de la journée.
Re:
C'est souvent surprenant mais ça peut arriver. Quelque chose de totalement inattendu qui se métamorphose en une fenêtre ouverte par laquelle tu peux passer ta tête et respirer l'air frais. Heureusemen que ces moments là existent. Ils représentent un espoir fou.
C'est toujours amusant de savoir qui faisait quoi et quand. On se dit que le monde est toujours en mouvement. ^^
Re:
J'y pense souvent sans réussir à mettre des mots qui parlent aux autres dessus.
:)
Re:
Ma Marie,
J'ai bien relu, tout relu de cette histoire que je connais tant, de cet amour que je t'ai vu ressentir, de ce cataclysme de février... Ce fut une histoire bien traumatisante, mais dont tu es sortie grandie au final. Un temps, tu es devenue dans ton esprit une sorte de martyr, blessée par ta passion inassouvie, par ton trop plein d'amour inépuisable.
J'ai vu grandir la petite fille, je l'ai vue mûrir, réfléchir, se tourner vers un autre horizon plus bleu, plus clair, je l'ai vue tourner la page de sa vie cassée, je l'ai vue sourire, puis rire et danser. A chaque nouveau pas, c'est un bout du chemin réalisé. Mais les nouveaux pas n'effacent pas les anciens, ils sont là, comme des empreintes dans le sol boueux, ils ravivent les larmes et font couler l'encre.
C'est seule que tu dois achever ta propre construction, pour pouvoir être fière de ton édifice, pour pouvoir dire un jour que tout est de toi... artisan de ta vie, maçon du coeur, constructeur d'amour. C'est pour cette raison que je me fais discrète, pour Toi que j'apprécie tant. J'ai été ta béquille, ton petit ange gardien rose...mais aujourd'hui, tu marches seule, sans boîter et j'en suis fière. C'est un de mes plus grands bonheurs.
Je te veux vainqueur et épanouie pour me prouver que tout cela n'a pas été vain. Une Marie fidèle à son anagramme : AIMER.
chr
C'est affreux et beau à la fois, c'est tendre et triste.
Ca m'a fait pleurer de lire ton article, vraiment tu m'as bouleversée...
Courage petit chat, tiens bon.
1000 bisous
Oh... Je comprends mieux, la marque du 13 février.
Je ne sais pas vraiment quoi dire, à part que tes mots, du premier au dernier, m'ont hypnotisée. Comme souvent.
Des bisous.
Ca m'a choqué... Je m'attendais pas à lire ça... J'ai pas tout comprit, je sais pas si c'est vrai mais j'aime pas qu'on déchire les gens, qu'on prive les gens d'amour tout ça pour des raisons sans raisons... Bon j'espère que ça va mieux :)... :s...
A bientôt!
Re:
Mais y'a encore du boulot. Cela reste une journée traumatisante pour moi.
Re:
Encore un mois moins un jour avant mes 18 ans !
Oui, j'avais 14 ans 1/2 quand j'ai rencontré Elle.
Et mes parents ont découvert notre relation juste un mois et un jour avant mes 15 ans...
Re:
Et puis le Prince, qui occupait chaque nuit mes rêves, a pris la main sur mon coeur
et cette histoire cauchemardesque m'a usée.
Je n'en pouvais plus.
Le procès est passé (octobre dernier), cela s'est plutôt bien terminé, mais si tout le monde (surtout Elle) en est sorti traumatisé et très fragilisé.
Re:
Re:
Re:
Ouf.
Mais si Elle avait été un homme, ça aurait été direct derrière les barreaux...
Pitseleh
J'avais lu des bribes de cet épisode douloureux, ce qui m'avait donné des indications sur ce qui s'était passé. Maintenant, tout est plus clair. C'est vrai que parfois, les maux du passé peuvent sembler inoffensifs, et comme il est stupide qu'une simple "date anniversaire" vienne tout foutre par terre. C'est bien trop con.
Je me souviens aussi de mon 13 février 2005. C'est le jour où Maya est arrivée dans notre foyer. Une boule de poils de huit mois, les yeux écarquillés, se demandant comment elle avait fait Normandie/Picardie en un jour et ce qu'elle pouvait bien faire ici... je m'emballe. Elle devait simplement se demander "Y'a des croquettes, ici ?" et encore aujourd'hui, c'est là la seule question qu'elle se pose.
Je me souviens aussi du 14 février 2005. Un épisode douloureux comme toi, mais bien différent. Je ne peux imaginer ce que tu as dû ressentir. Tes mots me touchent et me heurtent. Courage.