Durant ces trois dernières années, les 14 du mois ont été les jours à la fois les meilleurs et les pires de ma vie.

Dans un premier temps c'était super parce que ces jours là on fêtait avec Elle le jour où on a enfin décidé de prendre contact plus intimement.
Après ça a été plus dur parce que j'étais séparée d'Elle, je n'avais plus le droit de la voir.
Et maintenant c'est comme une boule dans la gorge parce que je devrais me réjouir qu'aujourd'hui cela fait trois ans que l'on s'aime, mais je ne peux pas me réjouir parce que je suis amoureuse du Prince. Et qu'Elle est elle désespérée tout en haut dans son appartement.

Ce matin quand je suis arrivée je suis allée rejoindre deux filles de ma classe, deux de mes amies depuis un paquet d'années.
Elles se sont trouvées cette année. Pourtant ça fait un certain temps qu'elles sont ensemble dans la même classe, mais là coup de foudre d'amitié, elles ne se lâchent plus.
Chacune son tour a été celle que j'appelais ma meilleure amie.
Maintenant c'est leur tour à elles deux.
Des fois c'est énervant.
Mais au fond je suis plus tranquille toute seule.
Et je sais que je les emmerde avec mes histoires, toujours les mêmes.

Ce matin donc je m'approche d'elles deux pour leur dire bonjour.
Et là j'entends E dire à L :
-On a pas eu le droit de le voir, faut qu'on récupère ses affaires...
Je lui demande :
-De quoi vous parlez ?
E regarde L avec un air "on lui dit ou pas ?" -j'ai l'impression d'être en CP, elles me font toujours cette impression-
je dis :
-Encore un truc que t'as pas le droit de me dire -car elles ont toujours leurs petits secrets et quand tu dis "de quoi ?" elles répondent "nan rien ça te regarde pas".
E dit :
-Non non si tu veux... Bah en fait dans la nuit de mardi à mercredi mon père s'est suicidé...
Je déglutis. Pour moi suicidé ne veut pas dire forcément mort. Avec toutes les tentatives de suicide qu'on a eu dans l'année, il est presque impossible pour moi qu'il ne se soit pas raté.
Alors, idiote, je demande :
-Et là il est dans quel état ?
Et E de répondre :
-Bah il est mort. T'en fais pas, cherche pas tes mots, je pleure pas, c'est comme ça.

À vrai dire, cela fait presque depuis le début de l'année, depuis que ses parents se sont séparés et ont entamé une procédure de divorce, enfin en fait non, en fait c'est depuis que je la connais, elle dit que son père est un salaud, qu'il mérite que de crever.

Maintenant que c'est fait je me demande ce qu'il y a dans sa tête.
Quand elle réalisera, ça va être terrible.
Et même si pour l'instant elle le déteste toujours autant, quand dans 5 ou 10 ans elle se rendra compte, elle portera le poids de la culpabilité toute sa vie.
Quand quelqu'un meure, on se sent toujours un peu coupable.
Moi j'ai mal pour lui le pauvre gars.
Il avait ses défauts. Comme tout le monde.
Mais ça me rend folle d'imaginer qu'il s'est foutu en l'air.

En même temps plus rien ne le rattachait à la vie.
Sa femme dont il était fou amoureux s'était barrée avec un autre.
Sa fille l'insultait dès qu'elle le voyait.
Il n'avait plus de boulot.
Plus de raison de vivre.

Alors ce midi je me suis installée devant l'accueil, assise presque par terre, seule, avec mon iPod, pour me vider la tête de ce maudit 14, trois ans de folie et la mort voulue de ce pauvre gars.

Et puis oublier le texte de Latin, qui portait, bien évidemment, sur la mort.

Le Prince est sorti.
Il m'a parlé de conneries de bac.
J'en ai marre qu'il me parle de ça.
Il a dû voir que je n'étais pas en forme.
Je faisais la gueule.
J'aurais voulu qu'il soit un peu chaleureux avec moi.

Après y'a une petite poufiasse de Troisième qui est venue discuter avec lui, et ne l'a plus lâché jusqu'à ce que ça soit l'heure de son cours.
Demain midi et après c'est fini.
Demain midi et je ne le vois plus.
J'en ai les mains qui tremblent.

Tout à l'heure j'étais tellement mal que j'avais envie de prendre mon énorme dico de latin, d'assommer la poufiasse, de prendre la main du Prince (en évitant of course de me brûler avec son mégot), et de l'emmener un peu plus loin, de lui dire que je l'aime à la folie, que je sais qu'il ne m'aimera jamais, surtout si je m'y prends comme ça, mais qu'il fallait que je lui dise, que j'étais en train de tout foutre toute une histoire et une vie en l'air pour lui. Pour qu'il sache. Même si au fond ça le regarde pas le pauvre de savoir que je vais La détruire, en étant la énième personne qui l'abandonnera, moi qui était pourtant la seule à être sa lumière, à lui donner encore l'espoir que la vie pouvait être belle.

Si Elle aussi Elle se fout en l'air alors là je ne sais pas ce que je ferai.

Elle dit que quand quelqu'un meure, le meilleur moyen de se consoler c'est de faire l'amour pour fêter la vie.

La dernière fois que j'ai fait l'amour avec Elle je venais juste de perdre un ami très cher.

Alors deux solutions s'offrent à moi.
Soit tout foutre en l'air dès demain en lui disant que je l'aime, que je veux faire ma vie avec lui, que je veux le rendre heureux. Toutes les fois que j'ai fait ça -bon la dernière fois j'avais 12 ans- ça n'a pas marché.
Il ouvrira les yeux très grand -en tout cas plus que le garçon à qui j'avais déclaré ma flamme quand j'avais 12 ans puisque lui est corréen et que pour ouvrir les yeux très grand, quand on a les yeux bridés, c'est pas facile- et me dira que je suis folle, que je suis trop jeune, qu'il ne veut pas me faire de mal mais que je ne suis qu'une élève.
Soit j'attends.
Je reste tout l'été sans amour à donner.
J'attends que maman d'adoption lui fasse un bourrage de crâne et qu'il soit obligé de m'épouser pour mettre fin aux rêves fous qu'il fera de moi la nuit.

Enfin faut pas rêver. (si justement)

Je l'aime je l'aime je l'aime.

Tout à l'heure en sortant de l'épreuve d'Anglais, il pleuvait des cordes, mais pas une petite pluie de rien du tout, non, un déluge, qui en 5 minutes fait déborder les rues sur les trottoirs, qui fait que chaque voiture qui passe t'envoie un véritable tsunami dans la gueule.
Evidemment avec Marion on a pas attendu que ça se calme, on est parti en courant comme des tarées.

Et c'était génial.

J'avais un chemisier blanc qui est devenu transparent comme si je m'étais enveloppée dans du film étirable dont on se sert pour conserver la fraîîîcheur des aliments, mon jean bleu pâle est devenue bleu foncé, mes lèvres roses sont devenues rouges, mes ballerines repetto en ont pris un coup dans la gueule, mon subliime sac a déteint sur mon chemisier, mes mini cheveux sont devenus fous, mes lunettes pas encore équipées d'essuie-glace ont fini dans mon sac, la main de Marion glissait dans la mienne, les ouvriers des millions de chantier qui s'amoncellent sur la route entre la maison et chez nous (Marion habite la rue à côté) nous ont sifflées comme des malades, les voitures nous klaxonnaient, et nous on riait comme des bossues.

Je pensais à lui.
J'étais belle toute mouillée comme ça.
Si je l'avais croisé je...
Je ne préfère pas y penser.

J'espère qu'il aurait succombé et qu'il se serait dit : Putain ses lunettes sont jolies mais elle est quand même mieux sans. J'la veux.

Sauf que jamais personne -du moins jamais un garçon- n'a pensé ça de moi.

Ce matin ma prof de français de l'an dernier, qui m'adore, qui est coiffée et habillée comme un garçon et dont la compagne est une femme, qui m'avait toujours soutenue, me parlant, mais de façon toujours très implicité, a carrément dit le prénom d'Elle, m'a parlé carrément, m'a dit ce qu'elle pensait, qu'elle savait qu'on serait heureuses toutes les deux, que ça allait être génial, qu'on allait pouvoir vivre ensemble quand j'aurai 18 ans, que c'était bientôt, etc.

J'ai fait un gros gloups.
J'avais envie de lui fondre dans les bras, de pleurer comme une madeleine, de lui dire que je ne savais plus quoi faire.

Argh. Je viens de recevoir un mail d'Elle.
Tout à l'heure j'ai craqué je Lui ai écrit pour Lui dire que je pensais à quelqu'un d'autre, mais que je savais que j'allais lui faire du mal.
Evidemment j'me suis sentie mieux après. Mais bon.
J'ai dû avaler ma grosse boule de larmes pour laisser la place à l'oeuf sur le plat.
Je suis presque soulagée de lire "Actuellement tu n'es plus celle que j’ai aimé" mais ça me tue de lire "merci d'avoir écrit ces quelques lignes concernant ton tiraillement, c'est de savoir cela dont j'ai besoin. Même si j'ai eu le temps de m'en faire une raison depuis plusieurs semaines déjà".
Et ça me dégoûte de faire ce que je fais, de recopier ses mots pour les faire lire à n'importe qui (même si mes chers lecteurs vous n'êtes pas n'importe qui), je sais qu'elle m'en voudrait si elle voyait ça.
Mais en même temps je ne peux parler à personne de tout cela.
J'ai besoin que ça sorte quelque part.

C'est ici.

Maintenant que vais-je lui répondre ?
Avant de ne plus jamais lui écrire ?

Je viens de relire sa dernière phrase.
On ne revit pas deux fois un amour impossible…
Que veut-Elle dire ?
A-t-elle compris qu'il s'agissait du Prince ?
Veut-elle me dire que si je veux revenir c'est foutu ?
Ou bien me fait elle comprendre que si je la quitte c'est parce que cet amour ne sera bientôt plus impossible et donc moins passionnant ?

Oh là là ça va me torturer ça encore...

Je sens bien que je vais tout perdre si je fais une connerie demain.
Mais je ne peux ne pas La quitter.
Je ne l'aime plus.
Je ne peux pas rester avec Elle juste pour qu'Elle, elle soit heureuse.
Cela n'est pas possible.

C'est pas vrai.
Ce ne sera plus un amour impossible avec le Prince si j'attends.
Il y a d'autres gens qui sont comme moi, qui ne tombent amoureux que de gens plus âgés.
Y'a des malades comme moi.
Oui j'ai une copine qui m'a dit que c'était une maladie.

À vrai dire tout peut être appelé maladie.

Oh je voudrais bien avoir quelques petits commentaires avant d'aller me coucher mais faut se les goinfrer toutes les lignes que je viens d'écrire.
Mes pauvres.
Et puis demain je vais me planter en Lettres.
Je n'ai rien révisé. Rien.

ça va être beau.