Quand ma mère m’a dit :
-Papa a pris toute son après-midi demain !
J’ai répondu, hypocrite :
-super !
Mais je savais que j’allais passer la journée à Guerville alors ça m’était bien égal.
Je déteste par dessus les week-ends durant lesquels je suis obligée de le supporter, de supporter ses colères incessantes…
Les vacances quand on part tous les quatre sont des week-ends prolongés… Même si souvent c’est en dehors de la maison, c’est souvent un cauchemar.
Car il gâche toujours tout.
Et il gâche aussi ma dernière journée de liberté lorsqu’il prend son vendredi après-midi.

Je n’ai toujours pas de nouvelles du Prince.
J’ai envie de l’appeler.
Mais je n’ose pas.
Je pourrais l’appeler pour lui dire que j’ai plusieurs logiciels à lui donner, qu’il suffit que je m’achète un câble Fire-Wiwer et que je pourrai lui donner EXCEL, comme ça il pourra travailler pour ses cours de maths/info…

Une petite fille adorable vient de s’asseoir à côté de moi dans le train.
Elle m’a demandé si elle pouvait écouter de la musique avec moi.
Alors j’ai mis mes écouteurs dans ses petites oreilles.

Mon oncle m’a appelé il y a deux minutes.
-Héhé c’est moi !
-Ouiii ça va ?!
-Ouaaaais ! Dis-moi, t’es chez toi ?
-Euhh non je suis dans le train…
-Ah ok, bon bah je viens te chercher à la gare.
-Génial !
-Tu arrives à quelle heure ?
-19h08 !
-Bon bah on s’attend devant la gare, à tout de suite !
-À tout de suite !!

C’est fou comme, en deux minutes, on peut changer complètement d’humeur.
J’étais plutôt triste en pensant au Prince qui ne me donnait plus de nouvelles de lui, et puis cette petite fille et le coup de fil de mon oncle m’ont redonné le sourire.

Quelqu’un a allumé une cigarette alors que l’on s’arrête quelques minutes à la gare de Oissel.
J’avale avidement les quelques volutes qui me parviennent.

Je dis aurevoir à la petite fille, vais devant la gare, ne vois pas mon oncle.
Mon portable chante dans ma poche.
-Tu es où ?
-Devant la gare !
-Tu vois un gros camion EDF ?
-Oui !
-Et bien je suis à environ 7 ou 8 voitures derrière lui… Tu vois ma main là ?
Et là, dans la foule de voitures, je vois la main de mon oncle sortir du toit ouvrant. J’éclate de rire.
-Oui je la vois ! J’arrive !

Il me dépose devant les Urgences, je l’embrasse, le remercie, je prends l’ascenseur et file au 4ème étage.
Je frappe, j’embrasse mes grands-parents et leur donne Le Monde que j’ai acheté pour eux à la gare de Mantes.

Vers 23h je me décide à regarder un film.
Le diable s’habille en Prada.
Je l’ai déjà vu mais j’avais bien aimé, et puis ça passe le temps.
Ma mère s’incruste.

Ce matin je me réveille avec une migraine lourde.
Je débarasse, essuie la table, fais la vaisselle, je dois aussi aller porter je-ne-sais-quel papier à un couillon de banquier qui a une tête de premier de la classe.
Je serre fort mon portable dans mes mains.
J’ai de plus en plus envie de l’appeler.

Mais je me retiens.

Vers Midi et demi le téléphone sonne.
Un mec de chez Afflelou qui me dit que mes lunettes de soleil qui devaient être prêtes mardi sont déjà prêtes et que je peux passer les chercher à partir d’aujourd’hui.
Je me dis que j’irai dans l’après-midi.

J’écris un mail au Prince.
Je lui parle de mon petit trafic de logiciels, de la santé de mon grand-père, du fait qu’à Saint Malo je n’aurai sûrement pas internet et que donc s’il veut me donner des nouvelles il peut m’envoyer un petit sms…

Quand je m’apprête à sortir, mes parents me disent qu’ils vont chercher des cartons dans les magasins du coin en vue du déménagement prochain.
Je sens une flamme se refroidir en moi.
C’est bizarre comme, à chaque fois que j’ai un projet ou une idée derrière la tête, dès qu’ils changent leurs plans, je sens mes projets s’écrouler.

Je me dis que c’est n’importe quoi, que le fait qu’ils sortent en même temps que moi ne va pas du tout gâcher ce que j’avais prévu de faire.
Alors le cœur battant je sors de la maison et fais le détour habituel pour passer devant chez lui.

Là j’ai une excuse. Le bout de sa rue s’arrête devant la boutique Afflelou.
Je ne vois pas pourquoi je me farcirais tout le centre commercial grouillants de ploucs endettés.

Mais cette fois je serre mon portable à l’en étouffer.

Dès que j’arrive dans sa rue (il habite tout au bout et la rue est longue), je cherche Prince dans mon répertoire et appuie sur le téléphone vert.
Cinq sonneries, mon cœur qui bat à cent à l’heure, et un répondeur.
Merde.
Je raccroche.
La spontanéité qui m’envahit lorsque j’ai un truc pareil en tête m’empêche toujours de laisser des messages vocaux. Après ils sont périmés et perdent de leur valeur et de leur sens.
Cela fait presque une semaine que je n’ai pas de ses nouvelles et j’avais deux hypothèses.
Soit il est parti quelques jours à la mer ou je ne sais où avec ses enfants –il m’avait dit qu’il le ferait et comme la fin du mois c’est la semaine prochaine et qu’il est sensé rendre ses enfants à sa future ex-femme à cette date…-.
Soit sa connexion a sauté et dans ce cas je ne pourrai même pas le joindre par téléphone.
C’est donc la première solution.
Mais j’aurais pu l’appeler tous les autres jours de la semaine, toutes les fois où mes doigts brûlaient d’envie d’appuyer sur le petit téléphone vert et ma bouche de dire
Dans environ trois minutes je vais passer devant chez toi, tu ne veux pas descendre fumer une cigarette que je te fasse un bisou ?
Je suis sûre qu’il aurait accepté s’il avait été là.

Je ne sais pas pourquoi, mais comme cela fait depuis dimanche soir que je n’ai pas de nouvelles de lui, je me dis qu’il est peut-être parti lundi ou mardi, et qu’il ne devrait plus tarder à rentrer…
S’il a un répondeur bizarre comme le mien, une voix de poufiasse enregistrée lui dira sûrement que mon numéro de portable a essayé de le joindre deux fois.
Peut-être qu’il reconnaîtra mon numéro et…
Peut-être qu’il rappelera.
Mais ça c’est dans mes rêves, dans les films que je prends grand plaisir à me tourner.

D’ailleurs en parlant de film, j’ai recommencé entièrement le montage de mon court-métrage sur mon nouvel ordinateur et le logiciel est très perfectionné, j’ai plein de nouvelles options et j’ai fait un générique de fou…
Il me manque toujours l’avant dernière scène et les voix de Julien, Maxime et Marion.
Le pire va être de faire la bande-son en mettant leurs voix pile au bon endroit. Cela va être un vrai cauchemar.
Mais c’est pour la bonne cause.

Ce soir nous devons aller dîner chez ma marraine.
Cela fait des années que je ne l’ai pas vue, mais je n’ai aucune envie d’y aller.
Ses deux filles sont les pires pestes que je connaisse.

Je pense beaucoup à Elle, je sais je n’arrête pas de l’écrire mais cela me ronge.
J’imagine tout ce qu’Elle doit penser, ses peurs, ses doutes, sa solitude.
Déjà qu’Elle était terriblement seule quand je l’aimais toujours mais là…
L’idée qu’Elle puisse souffrir me rend malade.
Et je sais qu’Elle souffre.
Je revis notre histoire.
Je regarde des photos d’Elle.
Je regrette d’avoir effacé toutes les photos de nous deux par panique.
Elles étaient tellement belles.
Elle est si belle.
Je ne l’oublierai jamais et je ne cesserai jamais de l’aimer.
Mais je ne peux pas me forcer.
C’est impossible.
Et n’allez pas non plus imaginer que je me force à aimer le Prince pour me forcer à passer à autre chose.
Je ne me suis pas forcée, j’ai même essayé de le sortir de mon cœur mais dès que je l’ai revu j’ai craqué.
Et là je n’ai plus envie de lâcher prise.
J’ai envie d’aller jusqu’au bout. D’essayer.

Mais j’aurais tellement aimé qu’on gagne.
Qu’on leur fasse la nique à tous.
Que notre amour subsiste à tous leurs stratagèmes pervers et tellement cruels.
Qu’il soit plus fort que tout.
Dès que je mets à penser à tous cela, les larmes me montent aux yeux.
J’aurais voulu ne jamais la quitter.
Toujours rester près d’Elle et continuer à vivre notre amour, malgré toutes les barrières qu’on a posées entre nous.

Mais je ne regrette pas d’être devenue celle que je suis aujourd’hui.
Celle que j’étais en 2nde je ne la renierai jamais, mais je préfère de loin celle que je suis aujourd’hui.
Même si comme tout être humain, les choix que je fais ont des conséquences douloureuses dans les vies des personnes que j’aime.
Ce n’est que le début.
Et ce passage insolite du monde des enfants au monde des adultes s’est fait d’une façon à la fois brutale et progressive chez moi.
J’ai toujours dit que j’étais quelqu’un de passionné, ce qui est vrai, mais j’ai su tempérer cette caractéristique de ma personnalité au fil des mois et des années.

Peut-être que notre histoire n’est pas finie.
Peut-être que ma Prince affair ne durera pas infiniment.
Peut-être qu’Elle me pardonnera.
Peut-être que mes sentiments changeront.

C’est étrange…
Quand on est enfant, on nous dit Et gna gna gna quand tu seras plus grande…
On imagine vaguement qu’on va grandir mais au fond on se dit que ce n’est pas possible, qu’on est trop unique pour que ça nous arrive à nous aussi.
Qu’on est pas normal, qu’on est pas comme les autres, et que si ça se trouve, on est même immortels.
Et puis pendant l’adolescence, là on ne peut plus nier qu’on grandit quand déjà il y a toutes ces choses bizarres qui se transforment ne serait-ce que physiquement, et puis qu’on doit s’orienter, pour l’avenir…
Et là soudain on se sent à la fois libre et effrayé.
Comme si on était en haut d’une falaise et qu’il fallait qu’on se jette, sans filet.
Il y a tout plein de choses devant nous.
Des choses qu’on ignore.
Que des choses qu’on ignore.
L’inconnu fout les boules.
Mais que diable, comme c’est excitant.

Ma dernière pensée du jour sera pour ma Garfu, pour lui dire combien je suis heureuse qu’on ait l’appartement que l’on voulait, et combien je suis contente de m’installer avec elle.
On va enfin avoir un peu de temps à consacrer à notre amitié.