Charmante improvisation
À 14h on était rentré, à 16h04 j’appelais Julien qui m’avait appelé hier pour me dire qu’il allait se balader en ville avec Sabrina (une fille de ma classe, enfin, de mon ancienne classe bouhouhou) et que je pouvais venir avec eux si je voulais.
Je lui dis que, dans une petite demi-heure, je suis devant le théâtre des arts et je pars, dans ma marinière bleue et rose, et mon short trop grand, mon amour d’iPod à la main.
Je loupe, bien entendu, mon métro, je passe dans la rue du Prince, j’ai envie de sourire.
Je sens quelque chose de spécial passer sur moi, quelque chose d’invisible mais de bien plus fort que toutes les fois où je suis passée devant chez lui en me disant que j’allais forcément le croiser.
Je traverse le pont et retrouve Julien et Sabrina dans cette lourdeur d’après-midi rouennaise.
On parle des profs, Julien nous fait comme d’habitude ses imitations et je hurle de rire.
Je sirote mon coca, lui sirote son jus d’ananas et Sabrina son kiwi à l’eau.
C’est agréable.
Je me sens bien.
À 17h38 je leur dis que je vais y aller, ils me raccompagnent au métro, on se sourit, on s’embrasse, je suis contente de les avoir vus.
Je grimpe dans le métro, et me dis que si le métro ne se prend pas un seul feu rouge, je descends à la station habituelle –lycée, club d’escrime, centre commercial- et je repasse devant chez lui.
Le métro ne se prend pas un seul feu rouge (YESSSS) et je suis donc happée dans le centre commercial toujours bondé, même un onze août.
Une fois passée devant ma cafétéria habituelle mes doigts me brûlent et je compose son numéro sur mon portable.
-Allo ?
-Je te dérange pas ?
-Non !!
-Tu es chez toi ??
-Ouaaaais !
-Euh, dans environ deux minutes et demie je passe en dessous de chez toi, tu descends me faire un bisou ?
Il rit
-Ouaaaais ! Chez lui les Ouaaaais qui traînent avec au bout une petite exclamation signifient « Mais oui, bien sûr !!! Avec plaisir !!! » J’étais en train de me reprendre, je rentre du golf, j’ai transpiré, je suis en short et j’ai rien d’autre !! T’es loin ?
-Non non, je suis là dans deux minutes, mais je reste que deux minutes après je dois rentrer !
-Ok alors je t’attends en bas !
-À tout de suite !
Une minute plus tard je suis dans sa rue, je l’aperçois de l’autre côté du trottoir, de dos, il fume, il a un tout petit short bleu et un polo noir.
Il se retourne presque quand j’arrive, il me sourit, je lui souris.
On s’embrasse.
On discute un peu.
Une vieille l’arrête pour lui demander si elle doit payer le parcmètre, il lui dit que non, que c’est samedi et qu’à cette heure-là elle n’a pas à payer.
Il est beau.
Il a mis ses chaussures de bateau et un polo noir avec des taches d’eau de Javel.
Il me plait comme ça, il est toujours très naturel, mais là il l’est encore plus.
En deux minutes, j’ai refait intrusion dans sa vie sans qu’il s’y attende.
Et il s’est laissé faire.
On continue de discuter un peu.
Je lui dis que je vais devoir rentrer.
Je lui demande s’il veut bien faire un petit bout de route avec moi.
Il accepte.
Il me demande si j’ai réussi à dormir.
Je lui dis que cette nuit, je me suis réveillée à trois heures, me suis rendormie à 6h pour être réveillée à 7h30.
Ensuite il me dit doucement Et sinon pour ton problème, oui, j’en avais un peu entendu parler… Et alors, ça n’avance toujours pas ?
Je réponds :
-Si, le procès aura lieu en octobre mais… Mais… C’est chiant…
-Oui, c’est sûr, c’est embêtant, ça je comprends… Moi je passe au tribunal le 3 ou 6 septembre, je sais plus… J’en ai ras-le-bol, ça fait un an et demi que je suis dedans, ras-le-bol…
J’ai l’impression d’être soudain toute légère.
Comme si un souffle me poussait vers le ciel.
Je me sens soulagée d’un poids immense.
Alors je l’aime encore plus.
Finalement il me raccompagne jusque devant ma rue.
À un moment il me dit que c’était le quartier de son pote prof de français.
Je dis Ah oui c’est vrai, je le vois parfois…
Il me dit qu’il n’a pas trop de nouvelles de lui, mais qu’à vrai dire il n’en cherche pas vraiment, qu’il est une sorte d’ours et qu’il reste dans sa tanière.
Je lui dis : Alors j’ai réussi à faire sortir l’ours de sa tanière…
Et là il me répond – il répond toujours de façon très étrange à mes questions - Oui… Enfin si tu veux venir faire du golf avec moi…
J’ai dû bégayer un peu, et ne rien répondre de très concret.
Ensuite je lui ai dit que j’allais y aller, on s’est embrassé, il m’a dit qu’il fallait qu’on se boive un verre dans la semaine, j’ai dit que oui ou peut-être la semaine d’après, il a répondu que la semaine d’après il aurait ses enfants –alors au fond je pensais que merde merde merde que mes parents ne travaillent pas pendant la seule semaine où je peux être seule avec lui et qu’ils vont être sur mon dos, enfin pas ma mère mais mon père qui va me demander avec qui je suis et je vais bien devoir lui dire la vérité et alors… Et alors là je panique- alors j’ai dit OK la semaine prochaine et puis après tout je me suis dit que merde, que c’était les vacances que j’étais amoureuse et qu’il n’allait pas continuer à me pourrir la vie.
Et puis, alors que je me retournais une dernière fois vers lui, il me fait En fait tu as deux ennemis au golf. Toi-même et le parcours. C’est vrai, tu te fous une pression folle… Tu t’écrases, tu joues comme si tu allais perdre ou gagner des milliers de dollars à chaque geste.
À ce moment, je me dis qu’il est complètement barré mais que je l’aime encore plus pour ça.
Ensuite il me dit qu’il est content, qu’il a bien joué cet après-midi, qu’il a fait des coups, on aurait dit des coups de pros.
Ma main gauche se pose inévitablement sur son bras et tapote le haut de son bras en disant Bravo, je suis fière de toi !
Il me dit Bon ben bonne soirée alors !
Je réponds À toi aussi, ¡ Hasta Luego !
Il me dit qu’il ne comprend pas l’espagnol.
Je lui dis que ça veut dire À bientôt !
Il répète À bientôt me sourit puis me dit Bon bah bisous alors !
Je traverse la rue, sur mon nuage.
Je le vois du coin de l’œil qui se baisse, peut-être pour faire son lacet ou pour ramasser quelque chose par terre.
Il me plaît.
Je rentre à la maison et j’ai l’impression d’être un papillon.
J’ai en moi ce petit secret, qui ne va pas rester longtemps secret, mais ce n’est pas grave.
Une petite voix fredonne Je l’ai vu, je l’ai vu, le jour de mon retour…
Je porte en moi quelque chose de secret, de touchant, de mignon, de rien du tout mais de beau, et pour une fois ce n’est pas vraiment interdit.
Je lui dis que, dans une petite demi-heure, je suis devant le théâtre des arts et je pars, dans ma marinière bleue et rose, et mon short trop grand, mon amour d’iPod à la main.
Je loupe, bien entendu, mon métro, je passe dans la rue du Prince, j’ai envie de sourire.
Je sens quelque chose de spécial passer sur moi, quelque chose d’invisible mais de bien plus fort que toutes les fois où je suis passée devant chez lui en me disant que j’allais forcément le croiser.
Je traverse le pont et retrouve Julien et Sabrina dans cette lourdeur d’après-midi rouennaise.
On parle des profs, Julien nous fait comme d’habitude ses imitations et je hurle de rire.
Je sirote mon coca, lui sirote son jus d’ananas et Sabrina son kiwi à l’eau.
C’est agréable.
Je me sens bien.
À 17h38 je leur dis que je vais y aller, ils me raccompagnent au métro, on se sourit, on s’embrasse, je suis contente de les avoir vus.
Je grimpe dans le métro, et me dis que si le métro ne se prend pas un seul feu rouge, je descends à la station habituelle –lycée, club d’escrime, centre commercial- et je repasse devant chez lui.
Le métro ne se prend pas un seul feu rouge (YESSSS) et je suis donc happée dans le centre commercial toujours bondé, même un onze août.
Une fois passée devant ma cafétéria habituelle mes doigts me brûlent et je compose son numéro sur mon portable.
-Allo ?
-Je te dérange pas ?
-Non !!
-Tu es chez toi ??
-Ouaaaais !
-Euh, dans environ deux minutes et demie je passe en dessous de chez toi, tu descends me faire un bisou ?
Il rit
-Ouaaaais ! Chez lui les Ouaaaais qui traînent avec au bout une petite exclamation signifient « Mais oui, bien sûr !!! Avec plaisir !!! » J’étais en train de me reprendre, je rentre du golf, j’ai transpiré, je suis en short et j’ai rien d’autre !! T’es loin ?
-Non non, je suis là dans deux minutes, mais je reste que deux minutes après je dois rentrer !
-Ok alors je t’attends en bas !
-À tout de suite !
Une minute plus tard je suis dans sa rue, je l’aperçois de l’autre côté du trottoir, de dos, il fume, il a un tout petit short bleu et un polo noir.
Il se retourne presque quand j’arrive, il me sourit, je lui souris.
On s’embrasse.
On discute un peu.
Une vieille l’arrête pour lui demander si elle doit payer le parcmètre, il lui dit que non, que c’est samedi et qu’à cette heure-là elle n’a pas à payer.
Il est beau.
Il a mis ses chaussures de bateau et un polo noir avec des taches d’eau de Javel.
Il me plait comme ça, il est toujours très naturel, mais là il l’est encore plus.
En deux minutes, j’ai refait intrusion dans sa vie sans qu’il s’y attende.
Et il s’est laissé faire.
On continue de discuter un peu.
Je lui dis que je vais devoir rentrer.
Je lui demande s’il veut bien faire un petit bout de route avec moi.
Il accepte.
Il me demande si j’ai réussi à dormir.
Je lui dis que cette nuit, je me suis réveillée à trois heures, me suis rendormie à 6h pour être réveillée à 7h30.
Ensuite il me dit doucement Et sinon pour ton problème, oui, j’en avais un peu entendu parler… Et alors, ça n’avance toujours pas ?
Je réponds :
-Si, le procès aura lieu en octobre mais… Mais… C’est chiant…
-Oui, c’est sûr, c’est embêtant, ça je comprends… Moi je passe au tribunal le 3 ou 6 septembre, je sais plus… J’en ai ras-le-bol, ça fait un an et demi que je suis dedans, ras-le-bol…
J’ai l’impression d’être soudain toute légère.
Comme si un souffle me poussait vers le ciel.
Je me sens soulagée d’un poids immense.
Alors je l’aime encore plus.
Finalement il me raccompagne jusque devant ma rue.
À un moment il me dit que c’était le quartier de son pote prof de français.
Je dis Ah oui c’est vrai, je le vois parfois…
Il me dit qu’il n’a pas trop de nouvelles de lui, mais qu’à vrai dire il n’en cherche pas vraiment, qu’il est une sorte d’ours et qu’il reste dans sa tanière.
Je lui dis : Alors j’ai réussi à faire sortir l’ours de sa tanière…
Et là il me répond – il répond toujours de façon très étrange à mes questions - Oui… Enfin si tu veux venir faire du golf avec moi…
J’ai dû bégayer un peu, et ne rien répondre de très concret.
Ensuite je lui ai dit que j’allais y aller, on s’est embrassé, il m’a dit qu’il fallait qu’on se boive un verre dans la semaine, j’ai dit que oui ou peut-être la semaine d’après, il a répondu que la semaine d’après il aurait ses enfants –alors au fond je pensais que merde merde merde que mes parents ne travaillent pas pendant la seule semaine où je peux être seule avec lui et qu’ils vont être sur mon dos, enfin pas ma mère mais mon père qui va me demander avec qui je suis et je vais bien devoir lui dire la vérité et alors… Et alors là je panique- alors j’ai dit OK la semaine prochaine et puis après tout je me suis dit que merde, que c’était les vacances que j’étais amoureuse et qu’il n’allait pas continuer à me pourrir la vie.
Et puis, alors que je me retournais une dernière fois vers lui, il me fait En fait tu as deux ennemis au golf. Toi-même et le parcours. C’est vrai, tu te fous une pression folle… Tu t’écrases, tu joues comme si tu allais perdre ou gagner des milliers de dollars à chaque geste.
À ce moment, je me dis qu’il est complètement barré mais que je l’aime encore plus pour ça.
Ensuite il me dit qu’il est content, qu’il a bien joué cet après-midi, qu’il a fait des coups, on aurait dit des coups de pros.
Ma main gauche se pose inévitablement sur son bras et tapote le haut de son bras en disant Bravo, je suis fière de toi !
Il me dit Bon ben bonne soirée alors !
Je réponds À toi aussi, ¡ Hasta Luego !
Il me dit qu’il ne comprend pas l’espagnol.
Je lui dis que ça veut dire À bientôt !
Il répète À bientôt me sourit puis me dit Bon bah bisous alors !
Je traverse la rue, sur mon nuage.
Je le vois du coin de l’œil qui se baisse, peut-être pour faire son lacet ou pour ramasser quelque chose par terre.
Il me plaît.
Je rentre à la maison et j’ai l’impression d’être un papillon.
J’ai en moi ce petit secret, qui ne va pas rester longtemps secret, mais ce n’est pas grave.
Une petite voix fredonne Je l’ai vu, je l’ai vu, le jour de mon retour…
Je porte en moi quelque chose de secret, de touchant, de mignon, de rien du tout mais de beau, et pour une fois ce n’est pas vraiment interdit.
Ecrit par inconsciente, le Samedi 11 Août 2007, 23:30 dans la rubrique Aujourd'hui.