J'ai retrouvé Maman à 11h17, on avait une petite heure devant nous parce qu'en fait elle retrouvait son mari pour manger à 12h10.
On a donc pris un jus pressé.
Et elle m'a un peu affolée.
Me disant que s'il elle n'avait pas trop voulu reprendre contact avec moi cet été, c'est parce qu'il s'était passé des choses qui me concernaient.
J'ai eu peur.

Une lettre de l'avocat d'Elle adressée à Maman.
Lui demandant d'écrire une lettre sur Elle. Une lettre qui La flatterait un peu.
Qui apporterait des éléments pour atténuer un peu sa peine.
Car à cause de toutes les histoires de pédophilie de ces derniers mois, Elle risque bien et vraiment la prison.
Maman a refusé, estimant qu'elle s'était en quelque sorte engagée vis-à-vis de mes parents, les écoutant il y a deux ans, et leur promettant de veiller sur moi, tout en leur disant que si elle avait été ma mère, elle aurait fait la même chose.
C'était donc les trahir que d'écrire cette lettre.
Et elle ne le voulait pas.

J'ai tout à fait compris.
Et je ne vois pas pourquoi j'aurais pu lui en vouloir.
C'est époustouflant mais Maman et moi sommes presque toujours sur la même longueur d'ondes.

Elle me dit ensuite que nombreux de ses collègues sont en train de s'activer à écrire leurs lettres.

Je lui parle du mail affreux que j'avais eu il y a quelques semaines.
Elle me demande si je sais pourquoi les mots étaient si agressifs.
Je dis que non. J'aime pas qu'on me pose des colles.
Elle me dit que c'est parce que celui pour lequel je l'ai quitté n'est autre que le Prince.
Et que le Prince est lui aussi un prof. Qui plus est un homme.
Et que ma mère m'encourage, me pousse même à conclure avec lui.

Sur le coup je comprends, je dis oui, bien sûr, c'est normal.
Cette histoire d'homophobie est désespérante.

Puis je me rends compte que cela veut dire qu'Elle sait que c'est lui.
Que c'est le Prince que j'aime.

Comment a-t-Elle su ?
Facile, tout le lycée est au courant.
Tous les profs le savent.

Ma tête me tourne.
Mais pourquoi est-ce que ma vie est toujours étalée comme ça aux yeux de tous ?

Finalement, vivement que je me barre.
J'aimerais tellement que le Prince et moi, on s'aime.
Loin de toutes leurs rumeurs. De merde.

L'église sonne midi.
On se lève, c'était trop court.

Je m'attendais à une discussion légère et joyeuse.

On sort du centre commercial.
Maman me dit qu'Elle sait trop de choses.
Qu'Elle a forcément un réseau de gens proches de moi -et pas les profs, donc des élèves- qui l'informent.

Mes yeux commencent à se gonfler de larmes.
Je ne vois plus le monde autour.

Quand soudain j'entends une voix pleine de soleil et de clarté me dire "Bonjour !".
Celui qui me dit bonjour est en jogging coloré et en t-shirt bleu.
Il tire deux gros sacs, sûrement remplis de fleurets, de sabres et d'épées.
Il m'adresse un grand sourire.

Je manque encore une fois de m'évanouir.
Ohhhh ! Bonjour !

Je voudrais lui sauter au cou.
Mais il voit que je suis occupée et il se fait discret.
N'empêche que ses habits colorés m'ont rafraichi les yeux.
Il s'éloigne.

Je me mets à pleurer.
Midi 10 sonne.
Tous les élèves, déjà sortis, passent entre nous.
Maman s'arrête au milieu de la foule, et elle me serre dans ses bras.
Elle me dit des mots doux.
Elle me console.
Son manteau noir caresse mes doigts.
Ma tête se perd dans son cou plein de cheveux blonds qui sentent bon.

Puis on repart, se dirigeant vers le lycée.
Je la tiens fort contre moi.

Je lui dis que je l'aime, que tout ce qu'elle a fait a été bien, qu'elle a bien fait de m'en parler, qu'elle a bien fait aussi de refuser, que depuis toujours elle m'a aidée, que c'est elle qui m'a sorti de là.

On arrive devant le lycée, elle aperçoit son tueur à travers la vitre de la scénic.
Je l'embrasse, une dernière fois, et puis je vais m'asseoir sur le petit muret.

Perrine me rejoint, je me mets à pleurer dans ses bras.
Je commence à lui expliquer pourquoi je pleure, quand une main chaude se pose sur mon cou.

Bah alors, ça va pas ma Pomme-Pote ?

Je murmure non...

J'agrippe son bras de ma main gauche, comme pour que sa main reste là, dans mon cou.
Perrine reste deux minutes puis elle me dit qu'elle doit partir, qu'elle pense fort à moi.

Il s'asseoit à côté de moi.
Je lui parle un peu.
Mais pas de ce qui me fait le plus pleurer.

À savoir du fait que certains profs me prennent pour une folle qui veut se faire tous les profs, qui pensent que je suis une vraie pourriture de La quitter pour lui, que je suis malade, que je suis une traîtresse.
Et qu'il faut que je fasse attention pour ne pas le mettre en danger, lui.

On reste là, bien pendant un quart d'heure.
Et puis il lance "Bon, on va manger quelque part ? Je vais chercher ma sacoche".

Il traverse la rue et va prendre sa sacoche noire qu'il a laissée devant l'accueil.

Puis on se dirige tous les deux vers le centre commercial.
J'ai envie de sentir encore son bras autour de mes épaules.
Je voudrais m'accrocher à son bras.
Je voudrais me serrer contre lui.
Avoir une présence, grande et rassurante.

J'voudrais un câlin.
Mon corps réclame des câlins.
Mes épaules abattues voudraient être serrées par des bras chauds et doux.

On marche, sur la place.
Je ne regarde pas autour de moi, je ne regarde que sa présence.
Je me noie en lui.
Et ça me fait du bien.

Il m'offre un sandwich, puis on s'installe à la terrasse du café tout près de chez lui.
Un coca et un grand café s'il vous plaît.

Je mange.
Un peu difficilement parce que mon estomac se sent bizarre après tant de larmes et de chocs.
Même si ces chocs vous paraissent minimes.
C'est un désastre en moi.

Comme si on avait joué au jeu de chamboule-tout avec mes dernières forces.

En plus j'ai mal du côté droit car ma dent de sagesse pousse.
Et me fait atrocement mal.

Quand j'ai fini mon coca, on s'en va, on retourne vers le lycée.
Il fume devant l'accueil.
Je reste près de lui.
Je sais que tout le monde nous regarde.
Je sais que ça va jaser.
Mais j'ai comme l'impression qu'il s'en fout.
Tout est tellement simple avec lui.

C'est marrant, mais tout le monde est très affectueux avec moi.
Je veux dire physiquement.
J'ai croisé mon ex prof d'histoire/géo, qui est gentil mais qui est médiocre.
Il m'a serrée dans ses bras.

Aujourd'hui j'acceptais l'affection de n'importe qui.

Ma prof de Philo adorée que j'ai enfin revue m'a appelée sa Petite Marie tout en m'embrassant très très chaleureusement.

Et c'est toujours comme ça.

Eux au moins ne sont pas mêlés à l'histoire.
Car ceux qui étaient mes amis dans l'histoire, comme Nad et A, ne sont plus du tout chaleureuses avec moi.
C'est à peine si elles osent me regarder dans les yeux.

Mais lui non.
Lui n'est jamais chaleureux physiquement.

Est-ce parce que si je le serrais dans mes bras, il sait que je ne pourrais plus le lâcher ?
Est-ce parce que c'est réciproque ?

Alors grâce à lui, mon sourire est revenu.
Maintenant j'ai mal aux yeux, parce que j'ai trop pleuré.
Et tout ça me fait tellement mal à la tête.

Mais j'essaye de voir les choses de manière positive.
J'ai perdu des amis, mais j'en ai retrouvé d'autres.
J'ai pu parler sérieusement avec Maman.
J'ai vu Julien et Dalel et c'était vraiment super.
J'ai revu ma prof de philo chérie que j'adore tellement.
Et puis j'ai passé un bon moment de ma dernière journée avec lui.

Et je lui ai offert des balles de golf.

Mais avec, il ne jouera pas au chamboule-tout.