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Devenir gris
Semaine folle.
Il reste un mois de cours.
Un mois de dossiers à taper à la dernière minute, de DS à réviser, de pages à apprendre en quelques heures, de projets à mener à bien.
Plus le temps de rien, même pas d'écrire.
Alors les poèmes je les écris pendant les cours qui ne m'intéressent pas.

Je suis rentrée vendredi soir à Rouen pour voir le spectacle de mon ex-troupe d'expression scénique et suis revenue au Havre hier après-midi, parce que trop de travail et pas assez de temps.
Tant pis pour mon week-end et pour mon sommeil.
Je dormirai cet été.

Quand je suis arrivée dans l'amphithéâtre, il restait une place au premier rang, tout à droite, à côté de Lisa.
Je me suis installée là. Lisa faisait barrière entre moi et le reste du monde. Je ne suis jamais au milieu et encore une fois j'étais à l'extrémité. La place où tu es obligée de faire un effort pour participer à la conversation. Où tu es obligée de demander "quoi ? quoi ?" pour comprendre. Où tu es obligée de te pencher pour être vue, pour rappeler que tu fais partie du groupe.
Je n'en faisais pas partie. J'étais l'intruse. La dernière.
Mais comme d'habitude j'ai retourné la situation dans ma tête. La dernière devient la première. Intruse ça me va. Je l'assume complètement. Et comme dit si bien ma Christine : il est impossible que tu sois différente... et tant mieux.

Cependant, je n'osais pas me retourner.
J'appréhendais plus le simple fait de me retourner et de me confronter à une foule d'yeux ennemis que d'assister à un spectacle de mon ex-troupe adorée auquel je ne participais pas.
Pas d'amertume, pas de noeud au ventre, pas de pincement au coeur.
J'ai eu un an pour m'y faire, un an pour accepter l'idée. J'ai pleuré, j'ai tout vidé, j'ai coupé le cordon. Maintenant je ne souffre plus.

Et j'ai pris mon pied à rire de leurs prestations, toutes plus surprenantes les unes que les autres.
J'ai adoré avoir le rôle de spectactrice. J'ai adoré applaudir. J'ai adoré être un témoin extérieur des miracles de Christine.

Quand elle est entrée sur scène pour faire son petit discours introductif habituel, elle a jeté un regard au public, puis un regard sur sa gauche. Ce regard s'est plongé en souriant dans mes yeux et j'ai senti toutes mes tensions s'en aller, toutes ces tensions qui me collaient depuis mon arrivée dans l'enceinte du lycée quelques minutes auparavant.
Je me suis sentie de nouveau forte.
Son regard m'a rendu mes pouvoirs, tous ceux qu'elle m'a donnés, et m'a appris.

La meilleure arme c'est l'indifférence.
Et contre ceux contre qui je ne voulais plus m'abîmer, c'est ce que j'ai fait.
J'ai pris mon bouclier d'indifférence, j'ai claqué deux bises sèches et marmonné un vague salut à celle que je ne voulais pas voir. D'ailleurs malgré ce geste de politesse, je ne lui ai même pas accordé un regard et je ne pourrais même pas vous dire comment elle était habillée ni si elle s'est enlaidie ou améliorée.
Cette fille qui pourrit ma vie depuis bientôt quinze ans.

Au diable la pourriture. Au diable la faiblesse.
Je ne la laisserai plus me faire du mal. Je ne la laisserai plus jamais empoisonner mon bonheur.

Et contre ma mère aussi j'ai choisi l'indifférence.
Que des critiques dans sa bouche, incapable de faire un compliment.
Pour que cela ne vienne pas gâcher mon bonheur à moi, j'ai simplement éteint mes oreilles à ses paroles.
Car ses mots, tellement amers de jalousie ou de rancune ou de je-ne-sais-quoi, m'arrachent les tympans.


Alors je me suis amusée, j'ai pleuré de rire, j'ai senti mes yeux devenir humides lors du final, seul moment où j'ai effectivement ressenti un petit pincement au coeur.
Merveilleux bouquet de couleurs, d'amour, de joie et de fierté.

La seule chose qui me manque réellement, hormis la présence de Christine qui n'a finalement pas ou peu de rapport avec l'expression scénique, c'est cette possibilité de se défouler complètement, de se prendre des tartes d'émotions comme ça, en se vidant de toutes ses pudeurs et de tous ses complexes devant un public mieux que bon.

Ce défouloir hebdomadaire me manque, chaque semaine.
Chaque mardi j'ai ce besoin de folie dans le ventre.
Sur le moment je ne comprends pas et puis à chaque fois je réalise.
Mais c'est normal, c'est mardi soir. Tu n'as plus de regrets, plus de nostalgie, mais tu as toujours ce besoin d'exutoire. Ton organisme ne s'y fait pas.

J'ai passé une journée entière à travailler sur un projet pour le cours d'espagnol.
Je me suis couchée vers 7h ce matin et me suis réveillée un peu après midi.
Une fille de ma classe travaillait avec moi depuis la veille 17h. Elle n'est repartie que vers 18h ce soir. Je n'en pouvais plus. Le manque de sommeil me tirait la nuque. Sa présence m'exaspérait. Elle ne cessait de parler, toute seule. Je me taisais, soupirant intérieurement.
Et puis enfin elle est partie. J'ai dessiné un peu. Je me suis fait du pain perdu avec de la brioche et des fraises. Je me suis dit qu'il me restait cinq heures de week-end et que comme j'avais consacré toutes les heures précédentes à travailler, je m'accordais ces cinq heures pour me poser.

J'écoute en boucle cette chanson dont A m'avait parlé.
Elle éveille en moi une sensation à la fois inconnue et familière, comme si elle me rappelait quelque de sous-terrain, d'enfoui, quelque chose qui est trop loin pour que je le retrouve.
Je commence seulement à voir comment on aurait pu être heureux. À voir à quoi ça aurait pu ressembler. À l'aimer vraiment, plus comme un type mystérieux qui m'attire mais comme un être dont je me sens terriblement proche, un être qui déchaîne en moi de profondes tempêtes d'émotions, un être dont le simple regard me révèle les milliers de nuances de sa personnalité, de son secret, de cette douleur au fond de ses yeux blessés.

S'il faut blâmer quelqu'un, je suis autant à blâmer que lui. Je suis aussi maladroite que lui.

Mais faut-il me briser pour me débloquer ?

Je pense beaucoup à mon attirance pour les femmes, je me demande ce que m'évoque vraiment cette nuit passée avec A l'autre jour. Je l'aime. Mais.
Je me pose beaucoup de questions.
Aimer des hommes m'a toujours fait terriblement mal car aucun d'entre eux n'a jamais voulu de moi. J'en viens à me demander si je trouve ça naturel. Les aimer oui. Les désirer non. Ça ne me vient pas naturellement. De toutes façons je ne désire plus personne. Peut-être juste ses lèvres et ses mains. Il m'exaspère mais pourtant, c'est lui que je voudrais.
Aimer des femmes m'a toujours rendue heureuse, même (surtout) lorsque ce n'était pas réciproque.
Voilà mon paradoxe.

Je lui ai envoyé mon poème et il m'a envoyé un montage réalisé avec des photos qu'il a prises lorsqu'il est venu.
Toutes les photos m'ont touchées, surtout l'avant dernière. Photo prise du pont de mon court-métrage. Le sol, l'ombre projetée, la rambarde, la mer. J'étais dans ses bras quand il l'a prise. Ça fait niais de dire ça. Mais ça m'arrive tellement rarement d'avoir des bras qui me serrent comme ça, des mains à qui je plais.
J'ai la tête qui tourne, j'essaye ne pas y penser mais je ne fais que ça.
J'avais déjà trop de rêves, trop de projets dans lesquels sa silhouette était pâlement incrustée. Pâlement certes, mais incrustée quand même.

Peut-être qu'au fond ça tombe bien cette surcharge épouvantable de travail. Je suis obligée de moins penser à lui. À ce manque qu'il a réveillé.
Mais tous mes gestes sont empreints de lui. Chacun de mes pas, alourdis par son souvenir, par le poids dans mon coeur.

Je préfère le fuir, parce que je suis incapable d'être son amie, mais je l'espère quand même tout le jour.
Recommencer encore une fois autre chose.
Une autre vie, chaque fois. Vivre avec le manque. Cela semble être mon destin.
Soit me résoudre à la solitude, soit me séparer.
Ne pourrais-je pas m'unir un peu ? Un peu plus qu'une nuit.

J'ai le coeur qui déborde.


Ecrit par inconsciente, le Dimanche 18 Mai 2008, 22:48 dans la rubrique Aujourd'hui.

Commentaires :

stupidchick
stupidchick
18-05-08 à 23:18

ce titre me rappelle une vieille chanson...dont j'ai oublié le nom...

 
inconsciente
inconsciente
18-05-08 à 23:20

Re:

"fade to grey"

 
Elwinwea
Elwinwea
19-05-08 à 20:43

Oh ma belle, mon Inconsciente, que de questions, que de souffrance...

J'ai l'impression qu'un chat a joué avec une pelote de laine et l'a étalée partout...

C'est idiot, sans doute, ce que je vais dire. Mais essaye d'oublier, une journée ou même une vingtaine de minutes. Puis penses-y, mais pas seulement en pensant, en y réfléchissant, avec méthode. C'est dur, ça paraît toujours impossible, avant mais aussi pendant. Ne laisse pas tout se mêler, c'est pire. Prends tes milliards de fils et tisse ta toile à toi, celle où tu sais où tu vas et ce que tu fais.

Je suis avec toi, en pensées !!!

 
Chivato
19-05-08 à 21:04

Vous-tu savez Marie. Je ne suis pas comme vous, je me refuse à tout inscrire en souffrance. Ne vous arrive-t-il jamais d'être éblouie par une rencontre merveilleuse sans pour autant avoir de convoitise ? Je crois que ça vient de m'arriver.

 
inconsciente
inconsciente
20-05-08 à 00:58

Re:

Si bien sûr.
Ça m'est arrivé la semaine dernière :)

 
Chivato
20-05-08 à 01:36

Re:

Oserais-je vous demander cette lumière ?

 
inconsciente
inconsciente
20-05-08 à 07:42

Re:

Une jeune fille qui est venue se présenter pour un entretien là où je fais mes études.
Elle était ravissante, un vrai bol d'air, un rayon de soleil à elle toute seule.
Elle a enchanté tout le monde sur son passage.

:)

 
Chivato
20-05-08 à 18:43

Re:

C'est tout beau, tout merveilleux. Il y a comme ça des gens qui rayonnent. Je vous souhaite de croiseer souvent de tels bols d'air frais.

 
inconsciente
inconsciente
20-05-08 à 01:36

Re:

Et l'autre jour, en envoyant le poème à A, je lui ai dit qu'en dessous de ma déception et de ma tristesse, il subsistait, plus fort que tout, un sentiment de chance extrême de l'avoir rencontré.
C'est ce qui restera au final, pas la tristesse ni la déception ;)
Tu peux être fier de moi... :)

 
Chivato
20-05-08 à 01:41

Re:

J'aime quand vous êtes positives de cette manière :) La chance de...

 
inconsciente
inconsciente
20-05-08 à 07:43

Re:

Je le suis au fond.
Mais comme toutes les femmes, j'ai des sautes d'humeur, et quand le moral est bas, il est trèès bas !
Je peux être très positive et sombrer soudain dans une pensée obscure qui va bouffer tout le reste autour.
Mais même si le malaise reste, j'ai toujours ce goût de voir les belles petites choses autour de moi.

:)

 
andbeyond
andbeyond
20-05-08 à 19:52

Re:

"Mais comme toutes les femmes êtres humains, j'ai des sautes d'humeur"

;-)

 
Chivato
20-05-08 à 20:41

Re:

Il y a eu plusieurs versions de "Fade to grey"... Vous êtes pleinement femme mais vous êtes juste terriblement humaine. Cf votre goût poue les "bol d'air' et les "belles petites choses" autour de vous...