Je m'accroche tous les jours
Dumbledore n’est pas mort. Je l’ai croisé vendredi matin.
Il avait ses longs cheveux blancs, sa longue barbe scintillante, et un petit chapeau pointu. Par contre, il avait échangé ses lunettes en demi-lune avec les lunettes de John Lennon. Et il avait troqué sa longue robe de sorcier contre une tenue baba-coolisante, mais il était très beau.
Ça m’a fait une drôle d’impression, et je me suis demandé pourquoi les autres gens ne se retournaient pas sur son passage.
Je l’ai regardé, et j’ai souri.
Dans mes écouteurs, j’avais I’ll stand by you.
Le genre de chanson qui change une vie.
Qui te fait prendre une décision que, sans musique ou sans drogue, tu ne prends pas.
Celle que j’écoutais quand, vendredi midi, je me suis dit que je n’avais rien à perdre et que j’ai envoyé une demande de stage à Biba et Cosmo.
Celle que j’écoutais jeudi quand j’ai décidé d’appeler le Prince.
Rien qu’à la pensée que j’allais peut-être lui parler et j’en avais des papillons dans le ventre…
Oh bien sûr je ne lui ai rien dit, rien de plus que d’habitude. Mais c’était bien.
On a regardé Questions pour un champion en même temps.
Il recevait l’émission avec quelques secondes d’avance, alors il me faisait croire qu’il connaissait toutes les réponses aux questions.
Il était fatigué, mais il avait une bonne voix.
Avec Garfu, on a regardé Lost in Translation. « Empêtrées » dans ma couette.
Je l’avais déjà vu mille fois, mais une fois de plus ne me dérangeait pas.
L’insomnie des deux personnages ne peut que me pousser à bien dormir.
Et je n’arrêtais pas de penser au Prince, à me dire que la différence d’âge qui sépare Bob de Charlotte ne doit pas être beaucoup moins grande que celle qui me sépare du Prince.
Et puis Bill Murray a cette même attitude. Cette nonchalance et ce charme mêlés.
Comme lui.
En revenant, vendredi soir, je suis tombée sur Si seulement je pouvais lui manquer de Calogero, dans mon iPod.
Il faisait froid, le vent me secouait et fouettait mon visage, mais pourtant c’était à l’intérieur que j’ai eu soudain froid. Comme si des larmes glacées avaient envahi mon sang.
Ce n’était pas parce que le titre de la chanson aurait pu me faire penser à lui.
Ni que l’amour de mon père n’est pas assez grand pour moi.
Mais je sais ô combien cette chanson fait pleurer Maman. Elle qui a perdu son père il y a presque dix ans, et qui ne s’en est toujours pas remise.
Alors cette chanson m’a fait penser à elle.
Elle qui me manque tellement, et à qui je voudrais tellement manquer aussi…
Vendredi matin, quelques secondes avant de croiser Dumbledore, j’ai aperçu une petite femme blonde, au loin, qui marchait d’un pas décidé, dans le sens opposé au mien, portant un cartable noir à la main.
Un grand frisson m’a parcourue, avant que ma raison ne débarque en me disant que cela ne pouvait pas être Maman.
Ensuite c’est la logique qui a débarqué. Maman n’a plus de cartable noir. Elle a acheté une sacoche violette cet été, et elle a désormais moins mal au bras.
Mais je n’ai pas eu l’occasion de la croiser souvent avec sa nouvelle sacoche.
Deux fois.
Le jour où elle m’a parlé si froidement, en me donnant rendez-vous comme si j’étais un dentiste.
Et le jour où elle m’a lancé cette bombe.
Dans ma tête elle reste le petit soleil blond au cartable noir.
Alors les larmes me sont montées aux yeux, sans que je ne puisse me contrôler.
Aussi vrai que de loin je lui parle
J’apprends tout seul à faire mes armes
Aussi vrai qu’j’arrête pas d’y penser
Si seulement je pouvais lui manquer
J’ai senti mon portable vibrer, j’ai arraché les écouteurs de mes oreilles et j’ai décroché.
C’était Julien qui m’annonçait qu’il avait réussi son épreuve écrite du concours de police.
Tout de suite, je me suis réjouie, oubliant le plus rapidement possible cette émotion trop forte pour moi.
Le soir, j’ai envoyé un message à Maman pour lui demander si je pouvais passer la voir pendant la réunion parents/profs de samedi matin.
Elle m’a répondu le lendemain, vers 7h15, pour me dire que oui, bien sûr, je pouvais venir lui faire un bisou.
Je me suis pointée vers 11h.
J’en avais les mains qui tremblaient.
Quand elle m’a vu, elle a souri. J’ai fait mine d’être un parent.
-Bonjour… Ma fille se plaint beaucoup de vous…
-Ah, bah ça ne m’étonne pas !
Des parents avaient des rendez-vous avec elle.
Alors je me suis baladée dans les étages, puis je suis remontée.
Plus personne n’attendait. Elle n’avait plus qu’à en finir avec les derniers parents qui étaient en train de discuter avec elle.
Quand elle est sortie de la salle pour voir s’il restait encore quelqu’un, j’ai vu sur son visage qu’elle se doutait que je l’attendais.
Elle a rigolé.
Je suis entrée dans la salle, elle a rangé ses affaires en me parlant, nous sommes sorties, toutes les deux, comme au bon vieux temps, nous sommes allées faire un tour dans une salle où elle devait remettre un papier.
Elle devait faire son plan de classe, alors comme je connaissais un peu ses élèves, je l’ai conseillée.
Et puis nous sommes sorties, dans l’humidité grise de ce matin rouennais.
Nous avons parlé, devant sa voiture.
J’étais aux anges.
Aux anges de voir qu’il n’avait fallu qu’une minute pour que l’on redevienne aussi proches que nous l’étions avant l’été.
Elle m’a beaucoup parlé d’elle, de la dépression à laquelle elle a réussi à échapper, de peu, au cours des trois derniers mois.
Ses piliers –nous- étaient partis.
Nous qui l’avions vu guérir.
Nous qui avions vu ses cheveux repousser.
Nous qui étions là le jour où on lui a annoncé qu’on lui retirait sa chambre à injection.
Ton cœur est l’hôtel de l’amour, même si maintenant il te manque une chambre.
Nous qui avions vu sa cicatrice rapetisser et ternir.
Nous qui avions assisté à sa renaissance.
Nous la laissions seule, avec des gens à qui elle ne pouvait parler de cette étape de sa vie.
Elle m’a parlé de tout ça, d’elle, de petits détails qui rendaient sa vie compliquée.
Nous n’avons pas parlé de moi.
Elle m’a juste demandé si j’allais bien, j’ai dit oui, et elle m’a cru.
Et je pense qu’elle avait raison.
Elle m’a dit que j’avais l’air épanouie.
Durant tous les 10 novembre que j’ai vécus depuis que je connais Elle, Maman a toujours été là.
Sauf lors du premier.
J’étais trop occupée à le passer avec Elle. Elle m’avait emmenée dans une crêperie un peu spéciale. Elle portait son petit pull gris qui La rendait tellement belle. Je Lui avais offert le Best Of de Simon & Garfunkel.
Le deuxième avait été glacial. J’étais désespérée.
J’étais assise sur ce petit rebord de fenêtre, dans le couloir, et tour à tour, Nad, A, et Maman, étaient venues me dire un petit mot.
Enfin non, A ne m’avait pas parlé. Elle m’avait gratouillé la tête avec ses longs ongles, et ce n’était pas très agréable.
Maman m’avait dit de me réjouir, de ne pas rester triste durant cette journée. Et que si Elle avait été là, nous nous serions réjouies ensemble.
Lors du dernier 10 novembre, j’avais dépensé tout l’argent qui restait dans mon porte-monnaie chez le fleuriste.
Des milliers de roses…
Maman était non loin de moi. Le soir elle m’avait consolée.
Et enfin, hier.
Je ne pense pas qu’elle s’est souvenue de ce que le 10 novembre évoquait pour moi, mais elle était là.
Hier donc, Elle avait 36 ans.
Nous nous étions dit que le jour de mes 18 ans, on pourrait rejouer la chanson de Dalida, et qu’Elle pourrait me dire qu’Elle avait « deux fois diz-oui-tan… ».
En ce moment je crois La voir partout.
Tout le temps.
Pourtant je ne La cherche pas.
Je ne veux pas La voir partout.
Mais pourtant…
Au Havre, à Rouen.
Alors j’ai peur.
Peur de m’être trompée.
Peur que ma vie soit encore plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.
Peur de vouloir rendre heureux le Prince mais de ne pas y parvenir.
À cause de mon passé, de ma sexualité, du premier amour qu’on ne peut oublier, de la tentation et de la douleur qui me prendront à la gorge quand je La reverrai, du tourment qui m’habite et qui ne pourra qu’être une source de malheur de plus pour lui.
Alors je me mets à douter, terriblement.
Elle me disait que les périodes de doute étaient importantes et enrichissantes. Qu’elles avaient une certaine beauté.
Quand je m’endors, je pense à Elle, je me vois face à Elle et face au Prince en même temps. Je me vois me rendre compte que l’amour que je Lui porte à Elle est bien plus fort que celui que je porte au Prince.
Quand je me réveille, Elle est plus floue. Elle appartient à mon passé amoureux. Elle est toujours là, parce que je l’aimerai toujours, et parce que jamais je n’oublierai rien de ce que nous avons vécu ni rien de ce qu’Elle m’a donné. Mais Elle n’est plus mon présent.
C’est lui.
Il n’est pas mon tout parce que je crois qu’il ne faut pas tout miser sur la personne aimée. C’est trop dangereux. Et bien que je sois entière, bien que je sacrifie tout lien d’amitié pour trente secondes passées avec la personne que j’aime, je pense qu’il ne faut pas tout mettre sur les épaules de Cupidon.
Je dis ça bien sûr, mais je ne suis pas sûre d’être capable d’appliquer.
De toutes façons, les théories m’embrouillent.
Dans le vif du sujet, on a du mal à y penser.
Mais c’est lui.
Lui qui m’inspire confiance, amour et paix.
Lui dans les bras duquel je me sentirai en sécurité.
Alors, dois-je faire confiance au soir, ou bien au matin ?
Je me sens pas mal paumée, et finalement c’est bien que j’aie encore du temps pour réfléchir.
Je vois son visage.
J’entends sa voix.
Je vois son sourire.
Je ressens cette surcharge d’adrénaline en moi.
Et je me dis que je sortirais bien en pyjama, tout de suite, pour aller le rejoindre.
Le ferais-je pour Elle ?
Là, plus de papillons, mais une sorte de stress qui se roule en une boule amère, dans ma gorge et dans mon ventre.
Comme si mon destin me reliait à Elle, quoi que je fasse.
Je suis un peu fataliste sur les bords, OK. Mais pas à ce point.
Il m’arrive souvent de me dire que telle chose est arrivée parce que c’était écrit, parce que cela devait arriver.
Mais c’est quand je me trouve face à lui que je me dis que je ne connais pas la suite de l’histoire. Pas plus que quiconque.
Et que c’est à moi, à nous, de la construire.
C’est nous qui avons le crayon en main. Nous qui décidons de ce que nous allons écrire ensuite.
Et c’est là que je me dis que j’ai de l’espoir. Que rien n’est perdu.
Et que je me battrai contre cette foutue raison qui nous pourrit la vie. Qui nous empêche de faire ces choses dont on aurait envie.
Tout à l’heure, sur le parking du cinéma, les filles semblaient gênées de prendre des photos rigolotes alors que des voitures se garaient, et des gens passaient autour de nous.
Je comprenais leur gêne, mais je ne la partageais pas.
Ai-je été livrée sans peur du ridicule ?
Je suis capable de tout.
Quand la voiture de Maman s’est arrêtée sous mes fenêtres et qu’en l’embrassant, elle m’a glissé à l’oreille Et travaille ton coupage de cordon…, j’ai souri. Peut-être un peu tristement. Je descendais de sa voiture mais je ne savais pas quand aurait lieu notre prochaine rencontre.
J’étais heureuse de la voir seule. Sans être entourée de tous ces autres qui me polluent habituellement la tête.
Je l’ai eu une demi-heure pour moi toute seule, sans que rien ni personne ne nous empêche de finir notre conversation.
L’émotion était palpable dans la voiture, nos deux parfums, Miss Dior pour l’une, et Miss Dior Chérie pour l’autre, s’entremêlaient, et je ne distinguais plus si c’était le mien ou le sien que je sentais. Il y avait des étoiles dans ses yeux. Ces petites paillettes bleues, brillants dans ses pupilles, et ces deux petits traits d’un rose rare et précieux, qui laissaient entrevoir ses dents. Son sourire. Son regard. Et sa voix.
C’est en les revoyant, en la réentendant, que je me suis rendu compte qu’elle me manquait encore plus que je ne l’imaginais.
J’ai toujours besoin de mettre des grands termes sur les relations que j’entretiens.
Alors je le fais. Même si des fois ça change.
Mais je crois que Maman est ma plus grande histoire d’amour. Elle n’est pas dépourvue de douleur, parce que quand on aime, on se fait forcément du mal. Mais c’est sûrement la plus solide. Puisqu’elle est dénuée de tout ce qui peut polluer une relation. Ce n’est pas de l’amitié, c’est de la fusion.
Nos pensées sont les mêmes. Ou bien se complètent.
Nous paraissons très différentes, elle est bien plus belle, bien plus féminine et bien plus charismatique que moi, mais nous sommes touchées par les mêmes détails, nous comprenons les mêmes choses.
Pas de jalousie entre nous. Nous avons la grande chance de nous accepter comme nous sommes, et d’avoir une dose d’amour-propre bien équilibrée.
Ni trop, ni trop peu.
Nous connaissons nos défauts. Nous croyons en l’être humain. Et nous donnerions nos vies pour l’amour.
Elle a introduit le rose dans ma vie, lorsque tout était noir autour de moi.
Depuis, le rose me suit partout.
Elle est la plus vraie de toutes les personnes que je connais, parce qu’elle regarde ses défauts dans les yeux. Et qu’elle reconnaît ses faiblesses.
Alors je l’aime, de tout mon cœur.
Et elle le sait.
Amina m’a offert un immense parapluie arc-en-ciel.
Comme ça, sans raison.
Ou bien si, simplement parce que j’en rêvais depuis toujours.
J’aime les gens qui veulent réaliser les rêves des autres.
Bien sûr il ne faut pas que ça aille trop loin, que ça tourne à la Harry un ami qui vous veut du bien, mais ces gens-là m’inspirent respect et affection.
Faut que ça s’en tienne à Amélie Poulain.
Chloé était mon Amélie Poulain. Elle me poussait à aller voir le Prince, le plus possible, pour que je n’aie pas de regrets.
Elle était venue nous prendre en photo, tous les deux.
Parce que, qui sait, nous n’allions peut-être pas nous revoir avant longtemps ?
Elle se fichait de ce que E pouvait bien me dire.
Tu ne devrais pas aller le voir comme ça tout le temps. Tu vas finir par l’emmerder. Tu vas le saoûler.
Alors que le matin même, il m’avait dit qu’il me donnerait son adresse e-mail, qu’il était allé voir mon blog, etc.
E ne cherchait pas à réaliser mes rêves. Elle préférait les détruire.
Comme une boussole azimutée.
Elle était ma sauveuse, et devenait mon pire cauchemar dans les deux minutes qui suivaient.
Je n’avais aucune envie d’aller voir ce film avec Jackie Chan.
Franchement. Moi, aller voir un truc pareil ?
Mais je me suis délectée.
Parce que je savais que ses yeux à lui avaient vu ces mêmes images quelques jours auparavant.
Et dans ces plans, il y avait un peu de lui.
Et puis, lorsqu’ils ont tourné le film, à Paris, Sylvaine était peut-être dans sa voiture, ou dans son bureau, quelque part.
Alors le décalage m’importe peu.
Car Jackie Chan m’a rapproché un peu plus de ceux que j’aime, et je l’en remercie.
Il avait ses longs cheveux blancs, sa longue barbe scintillante, et un petit chapeau pointu. Par contre, il avait échangé ses lunettes en demi-lune avec les lunettes de John Lennon. Et il avait troqué sa longue robe de sorcier contre une tenue baba-coolisante, mais il était très beau.
Ça m’a fait une drôle d’impression, et je me suis demandé pourquoi les autres gens ne se retournaient pas sur son passage.
Je l’ai regardé, et j’ai souri.
Dans mes écouteurs, j’avais I’ll stand by you.
Le genre de chanson qui change une vie.
Qui te fait prendre une décision que, sans musique ou sans drogue, tu ne prends pas.
Celle que j’écoutais quand, vendredi midi, je me suis dit que je n’avais rien à perdre et que j’ai envoyé une demande de stage à Biba et Cosmo.
Celle que j’écoutais jeudi quand j’ai décidé d’appeler le Prince.
Rien qu’à la pensée que j’allais peut-être lui parler et j’en avais des papillons dans le ventre…
Oh bien sûr je ne lui ai rien dit, rien de plus que d’habitude. Mais c’était bien.
On a regardé Questions pour un champion en même temps.
Il recevait l’émission avec quelques secondes d’avance, alors il me faisait croire qu’il connaissait toutes les réponses aux questions.
Il était fatigué, mais il avait une bonne voix.
Avec Garfu, on a regardé Lost in Translation. « Empêtrées » dans ma couette.
Je l’avais déjà vu mille fois, mais une fois de plus ne me dérangeait pas.
L’insomnie des deux personnages ne peut que me pousser à bien dormir.
Et je n’arrêtais pas de penser au Prince, à me dire que la différence d’âge qui sépare Bob de Charlotte ne doit pas être beaucoup moins grande que celle qui me sépare du Prince.
Et puis Bill Murray a cette même attitude. Cette nonchalance et ce charme mêlés.
Comme lui.
En revenant, vendredi soir, je suis tombée sur Si seulement je pouvais lui manquer de Calogero, dans mon iPod.
Il faisait froid, le vent me secouait et fouettait mon visage, mais pourtant c’était à l’intérieur que j’ai eu soudain froid. Comme si des larmes glacées avaient envahi mon sang.
Ce n’était pas parce que le titre de la chanson aurait pu me faire penser à lui.
Ni que l’amour de mon père n’est pas assez grand pour moi.
Mais je sais ô combien cette chanson fait pleurer Maman. Elle qui a perdu son père il y a presque dix ans, et qui ne s’en est toujours pas remise.
Alors cette chanson m’a fait penser à elle.
Elle qui me manque tellement, et à qui je voudrais tellement manquer aussi…
Vendredi matin, quelques secondes avant de croiser Dumbledore, j’ai aperçu une petite femme blonde, au loin, qui marchait d’un pas décidé, dans le sens opposé au mien, portant un cartable noir à la main.
Un grand frisson m’a parcourue, avant que ma raison ne débarque en me disant que cela ne pouvait pas être Maman.
Ensuite c’est la logique qui a débarqué. Maman n’a plus de cartable noir. Elle a acheté une sacoche violette cet été, et elle a désormais moins mal au bras.
Mais je n’ai pas eu l’occasion de la croiser souvent avec sa nouvelle sacoche.
Deux fois.
Le jour où elle m’a parlé si froidement, en me donnant rendez-vous comme si j’étais un dentiste.
Et le jour où elle m’a lancé cette bombe.
Dans ma tête elle reste le petit soleil blond au cartable noir.
Alors les larmes me sont montées aux yeux, sans que je ne puisse me contrôler.
Aussi vrai que de loin je lui parle
J’apprends tout seul à faire mes armes
Aussi vrai qu’j’arrête pas d’y penser
Si seulement je pouvais lui manquer
J’ai senti mon portable vibrer, j’ai arraché les écouteurs de mes oreilles et j’ai décroché.
C’était Julien qui m’annonçait qu’il avait réussi son épreuve écrite du concours de police.
Tout de suite, je me suis réjouie, oubliant le plus rapidement possible cette émotion trop forte pour moi.
Le soir, j’ai envoyé un message à Maman pour lui demander si je pouvais passer la voir pendant la réunion parents/profs de samedi matin.
Elle m’a répondu le lendemain, vers 7h15, pour me dire que oui, bien sûr, je pouvais venir lui faire un bisou.
Je me suis pointée vers 11h.
J’en avais les mains qui tremblaient.
Quand elle m’a vu, elle a souri. J’ai fait mine d’être un parent.
-Bonjour… Ma fille se plaint beaucoup de vous…
-Ah, bah ça ne m’étonne pas !
Des parents avaient des rendez-vous avec elle.
Alors je me suis baladée dans les étages, puis je suis remontée.
Plus personne n’attendait. Elle n’avait plus qu’à en finir avec les derniers parents qui étaient en train de discuter avec elle.
Quand elle est sortie de la salle pour voir s’il restait encore quelqu’un, j’ai vu sur son visage qu’elle se doutait que je l’attendais.
Elle a rigolé.
Je suis entrée dans la salle, elle a rangé ses affaires en me parlant, nous sommes sorties, toutes les deux, comme au bon vieux temps, nous sommes allées faire un tour dans une salle où elle devait remettre un papier.
Elle devait faire son plan de classe, alors comme je connaissais un peu ses élèves, je l’ai conseillée.
Et puis nous sommes sorties, dans l’humidité grise de ce matin rouennais.
Nous avons parlé, devant sa voiture.
J’étais aux anges.
Aux anges de voir qu’il n’avait fallu qu’une minute pour que l’on redevienne aussi proches que nous l’étions avant l’été.
Elle m’a beaucoup parlé d’elle, de la dépression à laquelle elle a réussi à échapper, de peu, au cours des trois derniers mois.
Ses piliers –nous- étaient partis.
Nous qui l’avions vu guérir.
Nous qui avions vu ses cheveux repousser.
Nous qui étions là le jour où on lui a annoncé qu’on lui retirait sa chambre à injection.
Ton cœur est l’hôtel de l’amour, même si maintenant il te manque une chambre.
Nous qui avions vu sa cicatrice rapetisser et ternir.
Nous qui avions assisté à sa renaissance.
Nous la laissions seule, avec des gens à qui elle ne pouvait parler de cette étape de sa vie.
Elle m’a parlé de tout ça, d’elle, de petits détails qui rendaient sa vie compliquée.
Nous n’avons pas parlé de moi.
Elle m’a juste demandé si j’allais bien, j’ai dit oui, et elle m’a cru.
Et je pense qu’elle avait raison.
Elle m’a dit que j’avais l’air épanouie.
Durant tous les 10 novembre que j’ai vécus depuis que je connais Elle, Maman a toujours été là.
Sauf lors du premier.
J’étais trop occupée à le passer avec Elle. Elle m’avait emmenée dans une crêperie un peu spéciale. Elle portait son petit pull gris qui La rendait tellement belle. Je Lui avais offert le Best Of de Simon & Garfunkel.
Le deuxième avait été glacial. J’étais désespérée.
J’étais assise sur ce petit rebord de fenêtre, dans le couloir, et tour à tour, Nad, A, et Maman, étaient venues me dire un petit mot.
Enfin non, A ne m’avait pas parlé. Elle m’avait gratouillé la tête avec ses longs ongles, et ce n’était pas très agréable.
Maman m’avait dit de me réjouir, de ne pas rester triste durant cette journée. Et que si Elle avait été là, nous nous serions réjouies ensemble.
Lors du dernier 10 novembre, j’avais dépensé tout l’argent qui restait dans mon porte-monnaie chez le fleuriste.
Des milliers de roses…
Maman était non loin de moi. Le soir elle m’avait consolée.
Et enfin, hier.
Je ne pense pas qu’elle s’est souvenue de ce que le 10 novembre évoquait pour moi, mais elle était là.
Hier donc, Elle avait 36 ans.
Nous nous étions dit que le jour de mes 18 ans, on pourrait rejouer la chanson de Dalida, et qu’Elle pourrait me dire qu’Elle avait « deux fois diz-oui-tan… ».
En ce moment je crois La voir partout.
Tout le temps.
Pourtant je ne La cherche pas.
Je ne veux pas La voir partout.
Mais pourtant…
Au Havre, à Rouen.
Alors j’ai peur.
Peur de m’être trompée.
Peur que ma vie soit encore plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.
Peur de vouloir rendre heureux le Prince mais de ne pas y parvenir.
À cause de mon passé, de ma sexualité, du premier amour qu’on ne peut oublier, de la tentation et de la douleur qui me prendront à la gorge quand je La reverrai, du tourment qui m’habite et qui ne pourra qu’être une source de malheur de plus pour lui.
Alors je me mets à douter, terriblement.
Elle me disait que les périodes de doute étaient importantes et enrichissantes. Qu’elles avaient une certaine beauté.
Quand je m’endors, je pense à Elle, je me vois face à Elle et face au Prince en même temps. Je me vois me rendre compte que l’amour que je Lui porte à Elle est bien plus fort que celui que je porte au Prince.
Quand je me réveille, Elle est plus floue. Elle appartient à mon passé amoureux. Elle est toujours là, parce que je l’aimerai toujours, et parce que jamais je n’oublierai rien de ce que nous avons vécu ni rien de ce qu’Elle m’a donné. Mais Elle n’est plus mon présent.
C’est lui.
Il n’est pas mon tout parce que je crois qu’il ne faut pas tout miser sur la personne aimée. C’est trop dangereux. Et bien que je sois entière, bien que je sacrifie tout lien d’amitié pour trente secondes passées avec la personne que j’aime, je pense qu’il ne faut pas tout mettre sur les épaules de Cupidon.
Je dis ça bien sûr, mais je ne suis pas sûre d’être capable d’appliquer.
De toutes façons, les théories m’embrouillent.
Dans le vif du sujet, on a du mal à y penser.
Mais c’est lui.
Lui qui m’inspire confiance, amour et paix.
Lui dans les bras duquel je me sentirai en sécurité.
Alors, dois-je faire confiance au soir, ou bien au matin ?
Je me sens pas mal paumée, et finalement c’est bien que j’aie encore du temps pour réfléchir.
Je vois son visage.
J’entends sa voix.
Je vois son sourire.
Je ressens cette surcharge d’adrénaline en moi.
Et je me dis que je sortirais bien en pyjama, tout de suite, pour aller le rejoindre.
Le ferais-je pour Elle ?
Là, plus de papillons, mais une sorte de stress qui se roule en une boule amère, dans ma gorge et dans mon ventre.
Comme si mon destin me reliait à Elle, quoi que je fasse.
Je suis un peu fataliste sur les bords, OK. Mais pas à ce point.
Il m’arrive souvent de me dire que telle chose est arrivée parce que c’était écrit, parce que cela devait arriver.
Mais c’est quand je me trouve face à lui que je me dis que je ne connais pas la suite de l’histoire. Pas plus que quiconque.
Et que c’est à moi, à nous, de la construire.
C’est nous qui avons le crayon en main. Nous qui décidons de ce que nous allons écrire ensuite.
Et c’est là que je me dis que j’ai de l’espoir. Que rien n’est perdu.
Et que je me battrai contre cette foutue raison qui nous pourrit la vie. Qui nous empêche de faire ces choses dont on aurait envie.
Tout à l’heure, sur le parking du cinéma, les filles semblaient gênées de prendre des photos rigolotes alors que des voitures se garaient, et des gens passaient autour de nous.
Je comprenais leur gêne, mais je ne la partageais pas.
Ai-je été livrée sans peur du ridicule ?
Je suis capable de tout.
Quand la voiture de Maman s’est arrêtée sous mes fenêtres et qu’en l’embrassant, elle m’a glissé à l’oreille Et travaille ton coupage de cordon…, j’ai souri. Peut-être un peu tristement. Je descendais de sa voiture mais je ne savais pas quand aurait lieu notre prochaine rencontre.
J’étais heureuse de la voir seule. Sans être entourée de tous ces autres qui me polluent habituellement la tête.
Je l’ai eu une demi-heure pour moi toute seule, sans que rien ni personne ne nous empêche de finir notre conversation.
L’émotion était palpable dans la voiture, nos deux parfums, Miss Dior pour l’une, et Miss Dior Chérie pour l’autre, s’entremêlaient, et je ne distinguais plus si c’était le mien ou le sien que je sentais. Il y avait des étoiles dans ses yeux. Ces petites paillettes bleues, brillants dans ses pupilles, et ces deux petits traits d’un rose rare et précieux, qui laissaient entrevoir ses dents. Son sourire. Son regard. Et sa voix.
C’est en les revoyant, en la réentendant, que je me suis rendu compte qu’elle me manquait encore plus que je ne l’imaginais.
J’ai toujours besoin de mettre des grands termes sur les relations que j’entretiens.
Alors je le fais. Même si des fois ça change.
Mais je crois que Maman est ma plus grande histoire d’amour. Elle n’est pas dépourvue de douleur, parce que quand on aime, on se fait forcément du mal. Mais c’est sûrement la plus solide. Puisqu’elle est dénuée de tout ce qui peut polluer une relation. Ce n’est pas de l’amitié, c’est de la fusion.
Nos pensées sont les mêmes. Ou bien se complètent.
Nous paraissons très différentes, elle est bien plus belle, bien plus féminine et bien plus charismatique que moi, mais nous sommes touchées par les mêmes détails, nous comprenons les mêmes choses.
Pas de jalousie entre nous. Nous avons la grande chance de nous accepter comme nous sommes, et d’avoir une dose d’amour-propre bien équilibrée.
Ni trop, ni trop peu.
Nous connaissons nos défauts. Nous croyons en l’être humain. Et nous donnerions nos vies pour l’amour.
Elle a introduit le rose dans ma vie, lorsque tout était noir autour de moi.
Depuis, le rose me suit partout.
Elle est la plus vraie de toutes les personnes que je connais, parce qu’elle regarde ses défauts dans les yeux. Et qu’elle reconnaît ses faiblesses.
Alors je l’aime, de tout mon cœur.
Et elle le sait.
Amina m’a offert un immense parapluie arc-en-ciel.
Comme ça, sans raison.
Ou bien si, simplement parce que j’en rêvais depuis toujours.
J’aime les gens qui veulent réaliser les rêves des autres.
Bien sûr il ne faut pas que ça aille trop loin, que ça tourne à la Harry un ami qui vous veut du bien, mais ces gens-là m’inspirent respect et affection.
Faut que ça s’en tienne à Amélie Poulain.
Chloé était mon Amélie Poulain. Elle me poussait à aller voir le Prince, le plus possible, pour que je n’aie pas de regrets.
Elle était venue nous prendre en photo, tous les deux.
Parce que, qui sait, nous n’allions peut-être pas nous revoir avant longtemps ?
Elle se fichait de ce que E pouvait bien me dire.
Tu ne devrais pas aller le voir comme ça tout le temps. Tu vas finir par l’emmerder. Tu vas le saoûler.
Alors que le matin même, il m’avait dit qu’il me donnerait son adresse e-mail, qu’il était allé voir mon blog, etc.
E ne cherchait pas à réaliser mes rêves. Elle préférait les détruire.
Comme une boussole azimutée.
Elle était ma sauveuse, et devenait mon pire cauchemar dans les deux minutes qui suivaient.
Je n’avais aucune envie d’aller voir ce film avec Jackie Chan.
Franchement. Moi, aller voir un truc pareil ?
Mais je me suis délectée.
Parce que je savais que ses yeux à lui avaient vu ces mêmes images quelques jours auparavant.
Et dans ces plans, il y avait un peu de lui.
Et puis, lorsqu’ils ont tourné le film, à Paris, Sylvaine était peut-être dans sa voiture, ou dans son bureau, quelque part.
Alors le décalage m’importe peu.
Car Jackie Chan m’a rapproché un peu plus de ceux que j’aime, et je l’en remercie.
Ecrit par inconsciente, le Dimanche 11 Novembre 2007, 11:24 dans la rubrique Aujourd'hui.
Commentaires :
Re:
Quand c'est toi qui dit ces choses là, je les ressens puissance dix mille.
J'adore ses dents, irrégulières, charmantes.
Et je n'ai jamais vu quelqu'un qui avait les lèvres aussi roses.
J'adore ses dents, irrégulières, charmantes.
Et je n'ai jamais vu quelqu'un qui avait les lèvres aussi roses.
Adorable Marie, que de choses dans ton article, comme d'habitude...
Et une fois de plus j'ai l'impression que nous sommes sur des rails parrallèles, que nous croisons le même type de personne, au même moment. J'ai aussi croisé mon ancienne Maman, celle qui m'a aidée à partir de chez mon père un peu malgré elle, mais moins longtemps que tu n'as vu ta Maman, juste quelques secondes où je me suis demandée si je devais faire demi-tour et l'accompagner ou continuer mon chemin seule... Et j'ai continué, j'allais voir des gens faire de nouvelles rencontres et finalement ça c'est bien passé... Je n'avais plus cette immense boule comme quand je le croisais avant, qu'elle était mon modèle, la seule que je veuille suivre. Elle m'a lancée, et maintenant si je suis ce que je suis c'est un peu grâce à elle aussi.
J'épiloguerai sur msn un de ces soirs, mais je suis de tout coeur avec toi, fonce petite Marie Merveille !
Et une fois de plus j'ai l'impression que nous sommes sur des rails parrallèles, que nous croisons le même type de personne, au même moment. J'ai aussi croisé mon ancienne Maman, celle qui m'a aidée à partir de chez mon père un peu malgré elle, mais moins longtemps que tu n'as vu ta Maman, juste quelques secondes où je me suis demandée si je devais faire demi-tour et l'accompagner ou continuer mon chemin seule... Et j'ai continué, j'allais voir des gens faire de nouvelles rencontres et finalement ça c'est bien passé... Je n'avais plus cette immense boule comme quand je le croisais avant, qu'elle était mon modèle, la seule que je veuille suivre. Elle m'a lancée, et maintenant si je suis ce que je suis c'est un peu grâce à elle aussi.
J'épiloguerai sur msn un de ces soirs, mais je suis de tout coeur avec toi, fonce petite Marie Merveille !
comme tu le sais, après mon aventure avec mon Elle, je suis tombée amoureuse d'un Il.
Et il est clair que l'un de nos pb était mon attirance constante pour les filles.
Il m'attirait, certes. Mais les femmes aussi.
Et ça, il ne s'y est jamais fait.
J'espère que de ce point de vue tu saura mieux gérer que moi.
Tes pensées m'ont l'air plus gaies. J'en suis contente. Continue de battre au son de la musique et d'esperer avec le Prince.
Et il est clair que l'un de nos pb était mon attirance constante pour les filles.
Il m'attirait, certes. Mais les femmes aussi.
Et ça, il ne s'y est jamais fait.
J'espère que de ce point de vue tu saura mieux gérer que moi.
Tes pensées m'ont l'air plus gaies. J'en suis contente. Continue de battre au son de la musique et d'esperer avec le Prince.
ninoutita
Tu as ce sens du détail adorable qui me touche profondément.