Il ne restait qu'un minuscule fond de vodka que nous nous sommes partagées avec Mélanie.
Un soupçon que nous avons noyé dans du Burn.
Nous étions finalement plus joyeuses avant de boire ce verre.
Verre qui n'a même pas réussi à me rendre un peu plus folle, un peu plus inconsciente.
Et puis vers 22h, Mélanie est partie.
J'ai entièrement vidé le salon, ai débarassé la table de l'entrée, l'ai mise dans le salon avec celle du poisson. Pour demain. Quand tous ceux de ma classe débarqueront, avec leurs bouteilles et leurs paquets de chips. Pour fêter mes 18 ans comme il se doit.
Ça porte malheur de fêter son anniversaire avant la date !!
Voilà ce qu'ils disent tous.
Mais de toutes façons, je sais que le malheur arrivera cette semaine.
Si ça se trouve même, cela arrivera le vrai jour de mon anniversaire, le 14.
Et si c'est le cas, je serai reliée à la vie à la mort à maman, par ce destin similaire qui nous perturbe tant.
Je n'oublie jamais ces histoires de dates.
Alors je profite. Des derniers instants d'insouciance, de joie.
Avant d'avoir des larmes collées aux joues, indélébiles. Pendant des jours.
Jusqu'à ce que la douleur s'efface. Ou du moins jusqu'à ce que je m'y habitue.
Je me dis que j'ai encore le droit d'être un peu heureuse.
Avant. En attendant.
Car je tremble à chaque coup de téléphone, à chaque bruit de SMS, à chaque mail arrivé.
Je tremble d'apprendre la fatidique nouvelle.
Je me créée d'autres rêves.
De nouveaux fantasmes.
J'imagine de nouveaux sentiments, de nouvelles histoires.
Moi, chercheuse d'extraordinaire, je me sens forcée à m'accrocher au mot résignation.
Tout à l'heure, le prof d'archivistique nous a laissé cinq minutes de pause.
Clooney était dans l'escalier, beau comme un dieu enroulé dans sa cape noire. Il discutait, stoïque, sur une marche, avec une collègue.
Je suis restée, quelques secondes qui m'ont paru des siècles, à le regarder.
Au moment où je me suis décidée à baisser la tête, convaincue qu'il ne me verrait pas, son regard a croisé le mien. J'ai lu une étincelle de coquinerie dans son regard, ou peut-être était-ce juste la flatterie d'être regardé avec tant d'intérêt. J'ai lu bonjour sur ses lèvres. Ou peut-être dans ses pupilles brillantes, je ne sais plus.
Tout cela en baissant les yeux.
Ce que les secondes peuvent être longues.
Je me suis sentie idiote.
Alors j'ai contourné l'escalier, entouré d'une cage de verre, et suis passée, près de lui, derrière la vitre, pour aller me rafraîchir aux toilettes.
Claire a gloussé -car tous épient mon attitude lorsque Clooney se trouve dans mes parages-, je lui ai lancé un coup d'oeil entendu puis j'ai recroisé, une dernière fois, le regard de Clooney.
Je souriais, tout bas, pâlement.
Il me regardait, avec amusement.
J'avais l'impression que, lui comme moi, discutions de choses banales et superficielles juste pour observer les réactions de l'autre.
Lorsque je suis sortie des toilettes, il était descendu de sa marche mais discutait toujours avec sa collègue.
J'ai exagérement bousculé son épaule feutrée pour passer et suis retournée d'une traite, m'asseoir au fond de la salle.
Pendant la dernière heure, je n'arrivais pas à ne pas penser à autre chose qu'à lui.
J'étais maussade.
Ne tombe surtout pas amoureuse, je me disais.
Surtout pas.
Si je pensais que c'était impossible avec le Prince, je ne sais pas quel mot je pourrais utiliser pour qualifier ce dont je rêverais avec Clooney.
Totalement impossible ?
Le simple mot interdit ne serait pas assez fort.
Encore une fois, je vise trop haut.
Julien m'a appelée. Pendant plusieurs heures.
Je lui ai dit tout ce que j'avais sur le coeur.
Sur le Prince et son silence dévastateur.
Sur l'état de mon grand-père, sur les angoisses de la famille.
Sur Linda et le terrible choc que sa mort avait provoqué en moi.
Sur Clooney qui m'attire, irrésistiblement.
Sur Arno qui occupe mes pensées un peu plus chaque jour.
Sur cette solitude qui me pèse.
Il ne pouvait pas répondre à mes monologues, il ne pouvait ni me raisonner, ni me conseiller.
Il en est incapable.
Mais c'était peut-être de ça dont j'avais besoin.
Juste vider ce trop plein de mots.
Avec ma voix pour une fois.
C'est toujours comme ça lorsque c'est la semaine de mon anniversaire.
L'impression que ma vie va s'arrêter après.
Ou recommencer.
Que je ne peux rien faire tant que la date n'est pas passée.
Journée qui passe si vite, comme un éclair.
Qui ne ressemble jamais à ce que j'espérais.
Depuis toujours je rêve d'une surprise, d'une surprise géante.
J'en ai toujours rêvé, depuis que j'ai trois ans.
Je rêve de n'être pas toujours celle qui va se battre pour réaliser ses propres rêves.
Je rêve que quelqu'un se charge, au moins une fois, de les réaliser pour moi.
Je rêve que quelqu'un bataille pour me rendre heureuse.
Que quelqu'un ait envie de me faire plaisir.
Que quelqu'un trouve les mots justes pour m'offrir finalement la seule chose que je voudrais.
Mais ça c'est dans les films.
Dans la vraie vie, la personne qui organise la fête surprise finit par séduire la personne dont l'autre rêve et se barre avec. Laissant son amie avachie au milieu d'une grande pièce vide, juste remplie de ballons et de bouteilles de champagne. Sans amis, et sans rêves. Une vie de massacrée. Une autre.
J'ai toujours considéré le 14 mars comme une date butoire, la plus belle date de l'année, la plus douce.
Une journée où je me sens plus vivante que les autres jours.
Une journée où l'on ne peut rien me faire.
Une journée dont tous les autres se fichent éperdument.
La semaine qui précède le 14 mars me fait toujours l'effet d'une semaine magique, durant laquelle on peut essayer de me faire subir n'importe quoi, mais durant laquelle rien ne pourra abîmer mon bonheur.
J'hésite à me battre toute seule, sans aide, à combattre cet horrible malaise qui me prend à la gorge, qui me fait mal à chacune des parties de mon corps. J'hésite à mener ce combat de front, sans carapace, sans armure.
J'hésite entre ça et prendre une de ces petites pilules bleues, qui me calmera quelques heures et m'aidera à m'endormir presque paisiblement.
La mort est dans chacune des secondes que je passe.
Je ne cesse d'y penser.
De voir la voiture de cette abrutie percuter celle de Linda.
De voir le corps de Linda projeté. Tué.
Du sang.
De voir ce cercueil et ces fleurs hypocrites.
De ressentir encore cette odeur d'hôpital.
Je vacille. Je suis prête à m'évanouir.
Mais je résiste.
L'impression que mon corps va exploser.
Mais ce n'est pas moi qui vais mourir.
Ce n'est pas moi qui doit avoir peur.
Mais quelle idée d'avoir peur de sa propre mort.
C'est absurde, idiot. C'est la meilleure chose qui puisse nous arriver.
En oubliant la souffrance de ce traître de corps.
C'est quoi ça, qu'est-ce qu'il m'arrive ?
C'est quoi ce mal-être horrible qui m'obscurcit, m'empêtre dans un brouillard épais et sombre ?
J'ai mal.
À tous les coeurs qui battent en moi.
Je voudrais tellement des bras dans lesquels m'écrouler.
Je donnerais tout moi. Je donnerais tout s'il était dans cet état. Et même s'il ne l'était pas.
Je donnerais tout pour lui. Je lui donnerais tout.
Je serais à sa merci, je lui donnerais mon coeur. Je lui donnerais ma vie.
N'existe-t-il personne sur cette terre qui me ressemble ?
N'existe-t-il personne qui n'ait pas peur de l'amour ?
Qui n'ait pas peur de regarder cet amour en face, comme de regarder en face la peur, la culpabilité, la mort ou la vérité ?
Suis-je la pire des égoïstes ?
Suis-je la plus belles des aimantes ?
Suis-je seulement humaine ?
Je vis dans un autre monde.
Un monde qui n'est pas terre à terre.
Chacun en a un petit bout, plus ou moins gros.
Mais j'ai l'impression d'en avoir plus que la moyenne.
De ne pouvoir que difficilement garder les pieds sur terre.
Et pourtant.
J'ai des larmes dans la gorge.
Je n'en peux plus de cette solitude.
Je n'en peux plus de ces banalités qui polluent nos vies.
Qui polluent ma vie.
Je voudrais qu'il vienne là, s'allonger auprès de moi.
Je voudrais qu'il me parle de lui, qu'il m'écoute aussi.
Je voudrais qu'il ait une représentation voisine de ma réalité.
Plus d'hypocrisie, plus de rapport dominant/dominé.
Je voudrais l'embrasser, et presque en pleurer.
Ce ne sera pas plus beau que pour les autres, ou bien ce sera l'illusion d'une infinie beauté.
Mais ce serait mon histoire. Notre histoire.
Je le cajolerais, je lui prouverais, lui montrerais tout ce que l'amour peut me faire faire.
Je lui bâtirais un monde à lui. Un monde à nous.
Un monde en couleurs, un monde de douceur.
Un monde où le concret ne viendrait pas nous emmerder.
Un monde où trop dire je t'aime ne serait pas un motif d'internement.
Ni une raison d'avoir peur.
Pourquoi l'amour ne le ferait-il pas pleurer d'émotion ?
Garfu m'envoie un texto pour me demander si ça me dérange qu'elle dorme chez son amoureux.
Comment cela pourrait-il me déranger ?
Comment pourrais-je lui en vouloir une seconde ?
Alors oui je suis seule, déprimée, tourneboulée, chavirée, décontenancée, perdue, prête à avaler une boîte de calmants, explosée de chagrin, enragée de peur, désespérée d'avoir tant d'amour et personne à qui le donner, torturée, tourmentée et mal comme jamais je ne l'ai été depuis que je suis née.
Mais si j'avais un amoureux, je ne ferais rien passer avant lui.
Il serait ma priorité, mon tout.
Et je deviendrais une affreuse égoïste.
Oubliant presque qu'il y a un autre monde.
Un autre monde qui contient d'autres personnes que lui et moi.
Finalement le Prince a raison de ne pas croire en l'amitié.
Moi non plus je ne crois pas en l'amitié.
C'est une vaste connerie.
Un autre mot pour dire amour.
Parce que dans la bouche de la majorité, amour insinue qu'il y a du sexe.
MAIS PAS DANS LA MIENNE.
Je ne crois pas en l'amitié.
L'amitié ne peut survivre à l'amour.
Elle ne peut lui résister. Elle si frêle, si superficielle.
Mais encore une fois, c'est mon point de vue.
Je crois en l'amour.
Je crois aussi qu'il y a plusieurs amours. Qui, eux, peuvent cohabiter.
Je crois en des personnes.
Je crois en Garfu et je l'aime de tout mon coeur.
J'aime notre relation. Ce grand mélange de tolérance et de respect.
Je suis dans une salle d'attente.
Le mauvais pressentiment était fondé. Une partie est arrivée la semaine dernière, l'autre arrive cette semaine.
Et le bon dans tout ça ? Le bon ?
À quoi ressemblera-t-il ? À qui ?
Ma vie ne ressemble à rien. Elle est désordonnée.
Pas sans intérêt, pas forcément.
Mais en attente.
Comme si quelqu'un avait appuyé sur le bouton pause.
Il y a quelques années, je disais que je pourrais réappuyer sur lecture le 14 mars 2008.
Les temps ont bien changé depuis.
Mais peut-être que...
Commentaires :
Re:
Et puis... J'ai l'impression que mon bon pressentiment va se réaliser.
Que la sale période prend fin.
Même si elle sera sûrement accompagnée d'un deuil.
Je crois que je suis en train de m'attacher... À quelqu'un d'autre.
Et depuis ce midi je suis sur un nuage.
Voilà :)
Une fois de plus, tant de choses à dire, tant de pensées différentes...
Je vais y aller dans l'ordre...
Je ne savais pas que ça portait malheur de fêter l'anni avant la date, nous on a toujours fait comme ça chez nous et c'est très bien allé !
Tu vas avoir 18 ans vendredi, un an et 5 jours de moins que moi... c'est beau. 18 ans c'est pas mal de devoirs qui vont te tomber dessus, mais aussi des droits ! Le droit de sortir avec un adulte si ça te chante (bon, tu vas me dire que ni toi ni moi n'avons attendu 18 ans pour ça, mais maintenant plus personne ne t'ennuyera).
N'anticipes pas le malheur, vis à 100% et si ça tombe, ben ça tombera, au moins tu auras eu quelques jours de bon avant !
Pour Clooney, je ne sais pas quoi te dire... Tu as beau te dire de ne pas tomber amoureuse, tu es pour le moins sous le charme... Et alors ? Tu as le droit, non ? Pourquoi Clooney serait-il plus impossible que le Prince ? Et pourquoi viserais-tu trop haut ? Tu le vaux, j'en suis sûre, ne te mets pas des barrières qui ne sont pas là ! Il faut y croire, toujours et encore, et à force de viser les étoiles, on finira bien pas les atteindre un jour !
Inconsciente, ça ne fait que quelques semaines qu j'ai fait votre connaisance "bloguesque". Je dois vous avouer une nouvelle fois mon goût pour votre talent. Vous savez si bien être la narratrice de votre histoire et magnifier avec générosité votre environnement. Je vous trouve hyper-consciente. Vous êtes à la fois les deux pieds dans votre vie et vous semblez dans le même temps flotter au dessus ; non pas avec détachement mais avec un gros point d'interrogation au pluriel.
Voyez vous, je ne veux pas sembler complaisant ou vous conforter dans vos doutes car je crains que vous y trouviez prétexte à nourrir une dépression (je crois que vous allez protester là !).
Pour moi, vous n'êtes pas un mirroir mais un reflet. J'adopte sans réserve vos définitions impossibles de frontières entre l'amitié et l'amour, vos refus de relations dominant-dominé, etc. Une mauvaise chanson de variété clame "aimons nous vivant, n'attendons pas que la mort nous donne du talent". (Ne cherchez pas la référence, c'est vraiment une très mauvaise chanson.) Inconsciente vous n'avez pas l'air d'une naïve mais vos mots me plaisent car ils sont l'anti-thèse du cynisme. Ne les transformez pas en maux.
Amitiés bloguesques
exvag
Il y a tellement de chose que je voudrais te dire en lisant tout ça.
Mais ça ne se peut pas ici.
Je suis un écoeurché et sur bien de point on se ressemble.
Mais sur d'autres, je crois que j'ai cessé de penser comme toi
La douleur m'a fait me résigner.
Ce qui se passe avec Clooney me fait avoir peur pour toi.
Je n'aimerai pas apprendre que tu souffres encore.
Il te faudrait changer de cercle, aller voir ailleurs.
Pour finir sur une note optimiste.
J'espère que tu te trompe, que tu passeras une bonne semaine, et un bon anniversaire.