Après avoir dévoré une tonne de krispolls d'abord au coulommiers puis ensuite au nutella et après avoir suffisamment actualisé ma page Yahoo pour en avoir ras le bol, je décide de partir faire un tour en ville.

Cela fait longtemps que je n'ai pas fait un tour chez Virgin Megastore et je me dis que pour une fois, je ne vais pas passer dans sa rue et que je vais prendre le métro.
Je me couche tellement tard et me lève tellement tôt que j'ai une gare entière sous les yeux. Je suis cernée comme un zombie.
Alors je vais m'économiser un peu.

J'arrive dans la rue des Urgences quand j'aperçois au loin la voisine d'en face qui promène son caniche -Fifi de son nom de baptême-.
Il est trop tard pour faire demi-tour, elle m'a d'ailleurs certainement repérée avant que je ne la repère.
Oeil de lynx, à 73 ans...
Sûrement moins myope que moi.

J'esquisse un sourire.
Elle m'embrasse de ses joues piquantes.
J'esquisse une nausée.
-Alors, comment va ton grand-père ? Ta mère m'a envoyée bouler l'autre jour, elle était de mauvaise humeur, mais je savais bien que je mettrai la main sur un de vous pour qu'il me donne des nouvelles.
-Il ne va pas très bien...
-Ah bon ? Bah oui parce que ta mère elle voulait pas en parler. Elle m'a envoyée bouler.
-Oui mais je crois qu'elle a du mal à avaler ça, qu'elle a pas trop envie d'en parler.
-Oui bah pour moi aussi c'est dur, moi j'ai perdu ma mère l'année dernière, elle c'est pas pareil, elle est pas toute seule. Moi je me retrouve toute seule...
-Oui mais c'est pas simple, de toutes façons...
-De toutes façons maintenant ce n'est plus qu'une question de temps... Il en a plus pour très longtemps.
-Nan mais... Mais vous vous étonnez qu'on ait pas envie de vous répondre quand vous nous demandez de ses nouvelles, mais si c'est pour entendre ça, mais vous vous rendez pas compte !
-ça m'est arrivé à moi, maintenant c'est votre tour, et puis ce sera le tour de quelqu'un d'autre...
-Oui mais pour l'instant c'est nous. Tout le monde connaît ça un jour ou l'autre, ok. Mais c'est pas pour ça que c'est facile à avaler. Alors si en plus on nous répète "il en a plus pour longtemps", vous croyez que ça nous fait plaisir d'entendre ça ? On le sait, donc pas besoin de nous le répéter.
-Moi je demande de ses nouvelles par amitié...
-Par amitié ? Mais si encore vous demandiez juste de ses nouvelles, sans enchaîner sur le fait que vous c'est pire, que vous vous êtes seule, et sans nous dire que de toutes façons ça finira bien par arriver...
-Ils sont toujours là-haut dans leur campagne ?
-Oui...
-Ils auraient dû déménager avant.... Et elle va rester là-haut toute seule ?
-Mais... Mais vous vous rendez compte de ce que vous dites ?! Vous croyez qu'on a envie de penser à ça ? Elle y pense sûrement, ils ont sûrement tout prévu, mais si c'est pour nous dire ça alors merci bien...
-Je demanderai plus de nouvelles alors.
-Bonne idée. Bon maintenant j'y vais. Au revoir.

Je n'ai même pas envie de commenter toutes ces horreurs.
J'ai le cou complètement noué. Et je sens que ça descend dans mes épaules.
Nan mais quelle chiasse cette bonne femme.

Je pensais prendre le métro mais elle m'a tellement énervée que je décide d'y aller à pied, pour me défouler.
Je me dis que ma tête est tellement prise par autre chose que si je passe dans sa rue, je vais peut-être le croiser.
Mais ça ne marche pas comme ça.

Avant d'arriver au pont, je suis arrêtée par deux personnes.
Une femme d'une trentaine d'année, cheveux châtain/roux, un peu frisés, et un grand homme noir.
La femme ouvre un petit livre. Elle commence à me demander quelle phrase je souhaiterais voir se réaliser.
Je reconnais des extraits de la Bible, pas que ce soit mon livre de chevet mais on reconnait facilement les tournures des phrases. Et puis les noms des prophètes sont inscrits en dessous.
Je me laisse faire. Cela ne pourra que me changer les idées.
Chaque phrase touche un domaine qui concerne la société d'aujourd'hui.
Pauvreté, misère, maladie, haine, ...
Je choisis la maladie.
Forcément. Vu les circonstances.
Elle me demande si je sais si cela peut se réaliser.
Je dis que non. Du moins pas dans le monde actuel.
Ou bien si on trouvait des vaccins pour tout.
Elle sourit niaisement. Je pense qu'elle me prend pour une abrutie.
Enfin non, en fait je crois que c'est elle l'illuminée.
Il se met à pleuvoir.
Le grand noir qui s'était mis en retrait s'approche de moi, ouvre un parapluie, et le tient au dessus de ma tête.
J'ai l'impression d'être dans un film.
Elle me blablate encore pendant une minute puis me dit que j'ai l'air sincère, qu'elle aimerait qu'on se revoit pour en parler, je fais mmm parce que je n'ai pas envie de dire non grosse coche casse-toi fous-moi la paix, j'aurais préféré le dire à la voisine, et puis je viens quand même de lui dire que tout s'arrangerait peut-être si on croyait un peu plus en l'homme et en l'amour.
Elle sort un stylo, note Claire sur la première page du livre, puis un numéro de portable.
Je fourre le livre dans mon sac.
Je la remercie.
Je fais un sourire et je m'en vais.

Sur le pont je laisse la pluie tomber sur mes joues roses de colère toujours pas retombée depuis tout à l'heure.

Je me dis qu'ils font partie d'une secte.
Qu'ils se servent de la Bible pour appâter le gogo.

La femme ressemble étrangement à la mère de Jérémie.

Je me dis aussi que si je balance le livre dans la première poubelle venue, il va peut-être m'arriver toutes les pires horreurs.
Je me dis que si je me mets à le lire je vais peut-être me faire gober toute crue, sans pouvoir résister. Qu'il y a quelque chose dans le bouquin qui va me droguer, me rendre folle, et je ne vais pas pouvoir faire autrement que de l'appeler.
Pour l'instant j'ai toute ma tête, je me dis que vraiment il faudrait me prendre pour une abrutie pour m'avoir comme ça.

Après avoir traversé le pont je me retrouve à un feu rouge.
Je cède. J'ouvre mon sac et prend le bouquin dans mes mains.
Je le tourne et le retourne pour chercher un indice.
Je l'ouvre à la fin et regarde l'avant dernière page.
Contacter les Témoins de Jéhovah...

Mes épaules sont soudain soulagées.
Ce n'est que ça.

Je voulais aller chez Virgin mais finalement je vais directement au bureau de ma mère.
Je sais qu'elle va hurler quand elle va savoir ce que l'autre commère au dentier aiguisé m'a dit, mais il faut que je dise ça à quelqu'un.
Je suis trop en colère.

J'en parle avec elle et avec sa collègue.
Cette dernière nous raconte qu'elle est la plus jeune et la seule célibataire de son village et que, quoi qu'elle fasse, elle est l'objet de tous les ragots.
Et puis elle nous raconte aussi les témoins de Jéhovah qui la harcelaient le dimanche matin.

Je me sens mieux.
Je dédramatise.

À la sortie du bureau, on va finalement chez Virgin.
Je m'achète un roman de Lucía Etxebarria. Amour, Prozac et autres curiosités.
Cela me convient parfaitement.
J'avais plus qu'aimé Un miracle en équilibre.
J'ai bien besoin de ça.

Quand on rentre, on téléphone à ma voisine d'à côté pour lui proposer une tasse de thé.
Elle dit qu'elle attend quelqu'un pour dans une demi-heure, mais qu'il faudrait qu'on se voit...
2 minutes après elle rappelle et dit qu'elle arrive, qu'elle a repoussé son rendez-vous à dans une heure.
Trente secondes après elle sonne.
J'ai eu le temps de mettre de l'eau à chauffer et de poser les trois tasses sur la table.
Ma voisine d'à côté -à ne pas confondre donc avec la voisine d'en face- s'appelle Agnès.
Avant, lorsque nous ne la connaissions pas, ou juste de vue, nous étions intrigués par ce A. sur sa sonnette.
Alors on l'avait surnommée Anastasia.
Et pour nous elle est restée Anastasia.
Elle est comédienne.
Nous allons voir toutes ses pièces.
Elle est rousse, les cheveux raides attachés en une queue de cheval.
Elle a de grandes lunettes, la peau très pâle, une cinquantaine d'années, l'air un peu stricte qui cache bien son jeu.
Elle est drôle et tout à fait charmante.
Elle a toujours des attentions délicieuses.
Et elle a un chat qui s'appelle Boskoop et dont ma soeur et moi nous sommes occupées pendant plus de 8 mois pendant qu'elle était en tournée.
Nous passons donc une petite heure avec elle, jusqu'à ce qu'elle reparte sortir ses petits pains du four.
Anastasia nous manquera.


Quand Rosa rentre, elle monte m'apporter un petit paquet.
Cé poul tua...
Je l'ouvre et découvre un petit sachet rempli de chocolats qui viennent du meilleur chocolatier de la ville.
Je l'embrasse chaleureusement et la remercie.
Elle me dit
No, melssi a tua...
Puis elle redescend dans sa chambre (devrais-je dire son palace ? qui soit dit en passant, est le mien).

Je souris.

Cette attention me fait très, très plaisir.

Je reste sans nouvelles du Prince.
Il a peut-être des problèmes avec sa connexion.
Ou peut-être est-il parti se balader quelque part avec ses enfants.
S'il a eu un problème de connexion, il n'a pas eu le mail qui donnait mon nouveau numéro de portable.
Il n'a que l'ancien...
Mais faut pas que je rêve.
Il n'a pas l'intention de m'appeler.

Cela m'énerve d'être sans nouvelles de lui, je pourrais lui en vouloir, m'énerver contre du vide.
Mais cela ne sert à rien.
Cela n'est pas de sa faute.
Et quel monstre je serais de m'énerver contre un être aussi adorable.

Il me manque.
Je voudrais être quelque chose pour lui.

Je viens de lui envoyer la Chanson du prince charmant débutant d'Émilie Jolie.
J'espère que ça le touchera.

Peut-être va-t-il rencontrer quelqu'un.
Une blonde aux cheveux longs et à gros seins.
Pardonnez-moi d'avance mes chères lectrices blondes aux cheveux longs et à la poitrine avantageuse, je ne dis pas ça pour vous offenser, c'est juste que je suis tout le contraire, brune aux cheveux très courts et avec des petits seins.
Et que bien sûr, j'ai peur d'être tout le contraire de son genre de femme.

Je crois qu'il faudra beaucoup de temps.
Et qu'il faudra que je revienne le chercher.
Un peu plus tard.

Mais d'ici là j'ai peur qu'il rencontre quelqu'un d'autre.
C'est ça ma plus grande peur.
Après celle qu'il lui arrive quelque chose...